Les Filles De Caleb
après avoir été bien lavés et cirés à la cire d’abeille. Le plancher avait été récuré à la brosse de crin et bien ciré lui aussi, même si l’acharnement qu’Emilie y avait mis n’avait pas donné les résultats souhaités. Elle avait encore une fois passé son poêle à la mine de plomb, tout en sachant que ce travail serait à refaire à la rentrée. Les fenêtres luisaient sous le chaud soleil de la fin juin. Emilie avait remercié ses élèves, les avait tous embrassés sur la joue et leur avait promis d’être à son poste au mois de septembre. Elle avait décidé qu’elle reviendrait.
Caleb devait venir la chercher «entre la Saint-Jean- Baptiste et le 30 juin, selon l’avancement des travaux de la ferme». Le 25 juin, elle entreprit le grand nettoyage de sa chambre, sortant même son matelas, seule, pour le faire aérer. Elle suspendit toutes les couvertures sur sa corde à linge et les battit énergiquement. Elle se promit de les laver dès qu’elle serait arrivée à Saint-Stanislas, évitant de le faire à Saint-Tite. Une pluie malvenue aurait pu les empêcher de sécher avant l’arrivée de son père. Elle avait déplacé tous les meubles de sa chambre afin de libérer l’espace nécessaire à l’installation de son poêle à bois.
Son attente dura quatre jours, au cours desquels elle fut souventes fois invitée à prendre un repas chez les Pronovost, mais aussi chez les parents de Charlotte.
La veille de son départ, Lazare Pronovost vint la trouver pour lui faire part de sa décision de mettre un terme à ses études. Émilie en fut chagrinée mais elle savait que Lazare ne pouvait faire d’études poussées et qu’il serait plus heureux en travaillant à la ferme avec son père et ses frères. Elle sourit lorsqu’il lui dit que le nombre d’élèves Pronovost serait le même, puisqu’Oscar commencerait ses classes à la rentrée.
Ovide vint rejoindre son frère à l’école, inquiet du qu’en dira-t-on, dit-il... Émilie leur offrit à tous les deux une bonne tasse de thé et accepta volontiers de jouer une ou deux parties de cartes. Une «veillée» à l’école étant interdite, ils se déplacèrent donc tous les trois et trouvèrent de nouveaux partenaires de jeu chez les Pronovost.
Monsieur Pronovost confirma à Émilie que Lazare quittait l’école. Il lui dit aussi qu’Ovila avait préféré faire une autre année.
«Celui-là, il aime pas mal moins ça que ses frères, le travail de la ferme.»
Fidèle à ses habitudes, Ovila était assis dans un coin de la cuisine à sculpter un bout de bois. Émilie lui sourit. Elle avoua aux parents qu’elle-même ne raffolait pas des travaux de la ferme, ce qui l’avait aidée à opter pour l’enseignement. Les parents Pronovost lui firent remarquer qu’elle aurait de la difficulté, dans un village comme le leur, à trouver un bon parti si elle ne voulait pas être femme de cultivateur. Émilie leur répondit en riant qu’elle n’était pas pressée de se marier; qu’elle aimait trop l’enseignement et qu’avec un peu de chance elle pourrait marier un instituteur... ou encore un inspecteur. A cette phrase, les enfants éclatèrent de rire. Émilie fit de même. Personne n’avait oublié la visite du nouvel inspecteur. Ce dernier s’était même fait un point d’honneur d’arrêter à l’école saluer Émilie lorsqu’il était repassé à Saint-Tite. Émilie s’en était quelque peu amusée, mais avait profité de l’occasion pour lui dire qu’elle préférait demeurer à Saint-Tite. L’inspecteur avait opiné sans raison et avait roucoulé quelques phrases. Cet homme de trente ans, à la redingote poussiéreuse, les cheveux déjà rares et saupoudrés de blanc avait essayé bien maladroitement de lui faire la cour. La seule promesse qu’il avait réussi à lui arracher était qu’elle lirait tous les livres qu’il lui avait prêtés. Il l’avait quittée en se retournant à trois reprises et chaque fois, Émilie s’était hâtée d’accrocher un sourire à ses lèvres et de lui faire un petit signe de la main auquel elle s’efforçait de donner une pimpante coquetterie.
Émilie quitta les Pronovost à huit heures. Elle savait qu’ils ne veillaient qu’exceptionnellement. Dosithée demanda à Ovide de la raccompagner. Celui-ci fut escorté d’Edmond et d’Ovila qui avait laissé tomber son couteau et son bout de bois, s’était passé à la hâte une main dans sa chevelure en bataille et
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