Les Filles De Caleb
prendre les rênes, mais Phonse n’avait rien voulu entendre. Lucie en avait été quitte pour mener l’attelage jusqu’à Saint-Séverin, Phonse s’étant endormi avant même qu’ils n’atteignent les rives de la Batiscan.
Emilie, surexcitée, n’avait pas trouvé le sommeil. Elle s’était changée à la hâte et était allée donner un coup de main à Caleb qui essayait de traire ses vaches. Caleb lui dit qu’il n’avait jamais eu un aussi beau réveillon. Emilie lui répondit que cela paraissait. Il avait essayé de traire deux fois la même vache. Caleb s’était esclaffé, avait basculé dans le foin et s’était endormi. Le travail terminé, Emilie l’avait réveillé.
Le midi de Noël, la fête recommença. Exceptionnellement encore, on procéda à l’échange de quelques cadeaux. Ovila remit un collier de perles de nacre à Emilie. Elle lui donna un coupe-vent qu’elle avait confectionné dans une serge épaisse, ainsi qu’un cadre avec une photo d’elle-même. Ovila enfila le coupe-vent et glissa le cadre sous sa chemise. Tout le monde rit. Antoinette reçut un bracelet qu’Emilie et Ovila lui avaient acheté. Antoinette les remercia chaleureusement en disant qu’elle n’avait jamais eu un aussi beau bracelet.
L’échange de cadeaux terminé, on recommença à manger et à s’abreuver généreusement. Ce soir-là, Emilie, Antoinette et Rosée se chargèrent de traire les vaches, les hommes étant trop occupés à jouer aux dames, ou à ramasser les pièces du jeu qu’ils échappaient à tout moment.
Les Pronovost ne quittèrent Saint-Stanislas que le lendemain de Noël. Émilie leur promit qu’elle serait de retour pour la fête des Rois. Ovila prit les commandes d’un des traîneaux, délesté de La-Tite, et salua Émilie.
«Que tu t’étouffes ou pas avec le pois, c’est toi, Émilie, qui vas être la reine. »
Il rappela à Antoinette qu’elle aussi était attendue. Antoinette le remercia. Après le départ des Pronovost, Célina et ses filles passèrent deux journées complètes à astiquer la maison. Le plus difficile fut de faire disparaître les stries noires laissées sur le plancher par les talons des danseurs.
Caleb, comme il l’avait promis à sa fille dans une lettre, lui avait donné une carriole comme cadeau de fiançailles. Émilie et Antoinette rentrèrent donc seules à Saint-Tite la première journée assez clémente de janvier, soit le trois. Durant le trajet, Émilie se demanda si elle devait raconter à Antoinette sa romance avec Henri Douville. Elle ne lui en avait jamais parlé, par orgueil et par discrétion. Elle décida de n’en rien faire. Cette histoire était morte de sa belle mort.
Mlles prirent leur temps pour rentrer, faisant une longue halte chez Lucie qui leur raconta tous les problèmes qu’elle avait eus à réveiller et à rentrer Phonse dans la maison au retour du réveillon.
«C’est p-pas mêlant, j’avais l’air d’un p’tit mené qui essayait de bouger une b-baleine!»
À Saint-Tite, elles s’arrêtèrent chez les Trudel pour leur offrir leurs vœux. Les Trudel furent enchantés de cette attention.
Émilie et Antoinette firent la dernière partie du trajet dans un silence presque complet. Émilie pensait à cette année qui venait de naître et à Ovila qui s’était greffé à cette naissance. Elle eut l’impression que le bonheur lui sortait par tous les pores de la peau. Ne se contenant plus, elle donna un coup de coude à Antoinette.
«Antoinette, plus j’y pense, plus il me semble que ça se peut pas.
— Quoi donc, Émilie?
— Ça se peut pas d’être heureuse de même.»
Chapitre troisième
1901-1913
L’hiver 1901-1902 avait vengé son prédécesseur. Les tempêtes de neige jouaient à saute-mouton avec les nuages encore gorgés de flocons qui ne réussissaient jamais à quitter le ciel et à se débarrasser de leur trop-plein. Ovila avait abandonné les travaux sur la maison de son père : le froid était si intense que les clous fendaient le bois. Emilie et Antoinette continuaient à occuper leurs soirées de corrections et d’aiguillées, gonflant le coffre de cèdre de cotonnades, de lin et de toile.
La terre n’avait commencé à se réchauffer qu’au mois de mai. Ovila avait repris ses travaux sur la maison, secondé par ses frères et son père, qui était rentré du lac Pierre- Paul. Il s’inquiétait. Les travaux n’avançaient pas aussi rapidement
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