Les Filles De Caleb
les cousins Bédard. La moitié de leur famille s’était donc déplacée. Ovila, bien entendu, était demeuré près d’Emilie malgré les taquineries des deux pères qui avaient longuement discuté de la chose en disant qu’il ne fallait surtout pas que le curé l’apprenne et force les deux tourtereaux à changer la journée des fiançailles en une journée de noces. Antoinette, Rosée et Eva avaient tenu à être ensemble. Lucie et Phonse n’étaient attendus que pour le réveillon. Célina s’affairait à mettre une touche finale à tous les préparatifs, le cœur léger et la main adroite. Caleb lui avait tiré la pipe en lui disant que plus elle avait de travail, plus elle semblait en forme. Célina lui avait répondu que c’était parce que le travail l’empêchait de manger et qu’elle se sentait toujours en meilleure forme quand elle se contentait de grignoter.
Les Pronovost, qui logeaient chez les Bédard, avaient quitté les Bordeleau vers dix heures du soir, promettant de les retrouver sur le parvis de l’église à minuit moins le quart. Félicité avait pris Ovila à part, lui recommandant une dernière fois de bien placer son col de chemise. Ovila avait ri en lui répondant qu’il avait assez de femmes autour de lui pour le passer en revue. Il était connu de tous qu’il détestait s’endimancher, préférant nettement ses habits de travail à ses habits propres.
La nuit était rêvée. Une neige légère poudrait les épaules d’Emilie. Par respect, elle n’avait pas porté sa toque de castor et son manchon. Elle était donc restée tête nue, protégeant son chignon et ses oreilles d’un foulard. Conduite par Ovila, la carriole glissait doucement, faisant chanter ses patins sur l’épaisse neige. Emilie se collait contre lui, lui chuchotant toutes sortes de joies à l’oreille. Le tintement de plus en plus réverbérant des grelots et les cris venant des traîneaux annonçaient qu’ils approchaient de l’église.
Caleb et Dosithée firent une entrée remarquée, marchant tous les deux au pas derrière le Zouave de la garde paroissiale. Ils étaient suivis de leurs femmes et de leurs enfants. Emilie et Ovila fermaient la marche, Ovila lui soutenant le bras.
Le cousin Bédard entama le Minuit Chrétien, faussant aussi allègrement que d’habitude. Émilie et Ovila, pourtant, ne sourirent pas, n’ayant d’écoute que pour leur présence respective.
La deuxième messe terminée, la majorité des femmes quittèrent l’église pour aller préparer le réveillon. Quelques hommes les accompagnaient pour conduire les attelages. Émilie et Ovila restèrent pour la messe d’aurore. Quand le curé chanta son Ite missa est, les paroissiens se hâtèrent vers la sortie. Ils s’attardèrent sur le parvis de l’église pour échanger leurs vœux. Plusieurs se souvenaient avoir rencontré Ovila. Le curé les rejoignit et félicita tous les couples qui s’étaient fiancés.
Célina et Caleb accueillirent pas moins de trente personnes pour le réveillon. Dès que la troisième tablée fut rassasiée, on tassa tous les meubles le long des murs et les musiciens sortirent leurs instruments : guimbardes, violons et accordéons. La danse commença. Les fiancés furent invités à faire les premiers pas. On les applaudit avant de se joindre à eux. Lucie réussit à faire transpirer son mari dès la première danse. Elle s’amusait follement. Antoinette avait trouvé partenaire. Elle avait fière allure dans sa robe bleue, pour laquelle elle reçut de nombreux compliments. Mais Emilie fut la reine de la soirée. Pendue tantôt au cou, tantôt au bras d’Ovila, elle virevoltait dans un froufrou de joie.
Les gens de Saint-Stanislas lancèrent un défi à ceux de Saint-Tite. Un concours de gigue fut organisé. Lucie essaya de convaincre Phonse de sauver l’honneur de Saint- Séverin, mais il refusa de participer, offrant toutefois ses services comme juge. Caleb se déchaîna, imité par Dosithée. Tous les fils firent aussi leur grand effort excepté Ovide, bien entendu, qui s’était joint à Phonse dans le jury. La folie gagna tous les fêtards à un point tel que les membres du jury ne nommèrent jamais de vainqueur. Il leur aurait été difficile de le faire, leur vue et leur jugement étant embrouillés par les vapeurs de p’tit blanc.
Le soleil était levé quand les derniers invités quittèrent la côte Saint-Paul. Lucie avait bien essayé de convaincre son mari de ne pas
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