Les fils de Bélial
devant.
Pierre de Villaines s’était adoubé d’une armure à la couleur d’eau. Une huppe de plumes d’autruche surmontait son bassinet complété d’un camail dont les anneaux de cuivre alternaient d’un rang sur l’autre avec des anneaux de fer. C’était beau mais peu solide même s’il s’agissait de ces anneaux de Chambly grosse rivure que Tiercelet avait pris en haine pour en avoir trop assemblé.
« Comme il me paraît loin, lui aussi !… Comme il me manque ! »
– Ah ! Ah ! Vous voilà ! s’exclama Pierre de Villaines.
Tristan se demanda si ce « Ah ! Ah ! » était une répétition due au bégaiement du chevalier ou s’il exprimait tout bonnement, une satisfaction lourde de bienveillance.
– Messire, dit-il en s’inclinant, nous ne sommes point les derniers : il y a quelque vingt ou trente chevaliers après nous.
Puis, s’avisant de la présence de Jean de Neuville :
– Votre oncle ?
Ce fut le Bègue de Villaines qui répondit :
– Arnoul est avec… avec… les… grr… grands.
Messire Pierre en était marri.
Tristan mena Alcazar à la dextre de Jean de Neuville tandis que Paindorge passait derrière. D’autres seigneurs apparurent. Certains mirent une lenteur volontaire dans la recherche et l’adoption de leur place ; d’autres la choisirent au trot, sans doute pour prouver qu’ils avaient l’œil vif et l’auraient plus prompt encore à la bataille. Des rumeurs commençaient à s’épandre un peu partout dans la piétaille. On n’ignorait pas que la composition détaillée de cette armée avait été fournie la veille aux capitaines et qu’ils savaient qui servait qui et quelles armes seraient aux mains des gens de pied. Le gros rassemblement de ce matin d’hiver n’avait pour but essentiel que de rassurer le roi sur les forces dont il disposait.
– Le voilà ! dit Villaines uniment.
– Les voilà, dit sans émoi Neuville.
Ils étaient précédés de sept trompettes à cheval, en iabardo 197 de taphetas rouge et safran et chaperon de même. Des vastes entonnoirs de cuivre s’évasaient des lamentations plutôt que des sonneries. Jointes aux bourdonnements des sabots sur le sol aussi dur et vibrant qu’une peau de tambour, on se fut cru, à les entendre, au pied des murs de Jéricho. Surgies par spasmes brefs des calices sonores, les stances du septuor éveillèrent le vent. Les bannières et les estranières (466) de cendal, de velours ou de soie, toutes richement armoriées, frémirent et baloyèrent. Une bouffée glacée s’abattit sur l’armée.
– Un vent d’acier… bégaya Villaines.
– Holà ! Messire, protesta Neuville. C’est plutôt un vent de victoire… du moins selon ce qu’en pense le roi !
Derrière les musiciens, deux pennonciers portaient très haut sur leur hampe dorée, les armes de la Castille, puis venait le roi, seul, dans une armure sur laquelle resplendissait une dalmatique armoriée, brodée de fils d’or et d’argent.
– Il est paré comme un évêque d’Avignon.
Neuville, qui révélait nûment une aversion longtemps tenue secrète, maîtrisa son moreau dont les écarts se succédaient sous l’effet, sans doute, d’une trompetterie qui ne cessait de déverser son flot de clameurs de plus en plus aiguës.
– Il semble que sa barbe ait poussé davantage comme les fleurs de sa couronne.
Décidément, Neuville n’aimait point Henri. Par qu’il allait le mener à la bataille ou parce que son oncle, Audrehem, le honnissait peu ou prou ?
– Il… il… est… bé… bé… bellement vêtu, dit Villaines.
D’où l’usurpateur tenait-il cette armure noire rehaussée de damasquinages, d’appliques d’orfèvrerie et de fîchures d’argent (467) ? Mais de Pèdre, évidemment. Il l’avait trouvée dans ce qui subsistait du trésor de Séville abandonné en hâte par son possesseur. Le bassinet couronné était surmonté du château à trois tours de la Castille, crénelées, ce qui fit dire à Paindorge comme les limaçons, le roi emmenait sa demeure sur soi.
– Le lion du Leôn est absent, dit Tristan.
– Il peeeut pas… Po… porter tout su… sur so chef !
Le cheval du roi, houssé de velours vermeil sur sol giral 198 miroitant, figurait, en quelque sorte, le coussin de cérémonie sur lequel reposait ce joyau d’homme. Derrière lui, Guesclin reconnaissable à son flotternel blanc frappé de l’aigle noire, et Audrehem, paré d’une cotte à ses
Weitere Kostenlose Bücher