Les fils de la liberté
faire une paire avec une monture en écaille pour tous les jours et une autre en or pour le dimanche.
— Quoi, c’est pour me faire lire la Bible ?
— Non, c’est juste pour l’esbroufe. Après tout…
Il saisit ma main, qui sentait l’aneth et la coriandre, et, la portant à sa bouche, suivit délicatement ma ligne de vie du bout de sa langue.
— … pour les choses les plus importantes, tu te sers avant tout du toucher, non ?
Nous fûmes interrompus par un toussotement à l’entrée de la tente. Je me retournai pour voir un homme grand et trapu comme un ours. Ses longs cheveux gris lui tombaient sur les épaules. Il avait un visage avenant, en dépit d’une cicatrice qui lui barrait la lèvre supérieure, avec des yeux doux mais perçants qui virent immédiatement la besace sur la table.
Je me raidis légèrement. Il était strictement interdit de piller les fermes et si Jamie avait tué des poules surprises en pleine nature, il ne pouvait le prouver. Or ce monsieur, bien qu’habillé en homespun et portant une chemise de chasse, avait indubitablement l’air autoritaire d’un officier.
Il salua Jamie d’un signe de tête puis lui tendit la main.
— Vous êtes bien le colonel Fraser ? Daniel Morgan.
Je reconnus le nom, même si tout ce que je savais sur Daniel Morgan (une note dans un des livres d’histoire de Brianna), c’est qu’il était un célèbre tireur d’élite. Cela ne m’était pas particulièrement utile. Tout le monde le savait et il avait déclenché une certaine effervescence dans le camp lorsqu’il était arrivé avec un groupe d’hommes quelques semaines plus tôt.
Son regard se tourna vers moi puis de nouveau vers la besace d’où sortaient quelques petites plumes compromettantes.
— Avec votre permission, madame.
Sans attendre ma réponse, il s’empara du sac et en sortit un poulet. Le cou du volatile retomba mollement, montrant un trou sanglant là où s’était trouvé un œil. Morgan émit un petit sifflement admiratif.
— Vous l’avez fait exprès ? demanda-t-il à Jamie.
— Je vise toujours l’œil, répondit poliment Jamie. C’est pour ne pas abîmer la chair.
Le colonel Morgan sourit puis hocha la tête.
— Suivez-moi, monsieur Fraser. Et apportez votre fusil.
Ce soir-là, nous dînâmes devant le feu de Daniel Morgan. Ses hommes, le ventre rempli de ragoût au poulet, levèrent leur verre de bière en hululant pour saluer l’arrivée d’un nouveau membre dans leur corps d’élite. Je n’avais pu m’entretenir en privé avec Jamie depuis qu’il m’avait été enlevé par Morgan dans l’après-midi et je me demandais ce qu’il pensait de cette apothéose. Cela dit, il semblait à son aise avec les tirailleurs, même si les regards qu’il lançait de temps à autre vers Morgan m’indiquaient qu’il n’avait pas encore arrêté sa décision.
Pour ma part, j’étais aux anges. Les tirailleurs se battaient de loin, se tenant souvent hors de portée des mousquets. Ils étaient également très précieux et les commandants rechignaient à les engager dans des corps à corps. Aucun soldat n’était à l’abri mais certains postes connaissaient un taux de mortalité beaucoup plus élevé que d’autres. J’acceptais le fait que Jamie soit un joueur invétéré mais je préférais nettement qu’il ait l’avantage.
Bon nombre des tireurs d’élite étaient des Long Hunters ; d’autres, ce qu’on appelait « des hommes venus de l’autre côté de la montagne ». La plupart n’étaient donc pas accompagnés d’épouses mais il y en avait quelques-unes. Je fis immédiatement connaissance avec elles en admirant le bébé d’une jeune mère. Une autre plus âgée se laissa lourdement tomber à mes côtés sur le tronc couché et me demanda :
— Vous n’êtes pas la guérisseuse ?
— Si. On m’appelle « la sorcière blanche ».
Cela les fit tiquer un peu mais l’attrait du danger était irrésistible. En outre, quel sort aurais-je pu leur jeter au milieu d’un camp militaire, entourée par leurs maris et leurs fils tous armés jusqu’aux dents ?
Quelques minutes plus tard, je leur donnais toutes sortes de conseils, de comment calmer les douleurs menstruelles à comment traiter les coliques. Je surpris le regard amusé de Jamie devant ma popularité et lui adressai un petit signe discret avant de me tourner à nouveau vers mon public.
Les hommes continuèrent à boire, naturellement. Ils éclataient
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