Les fleurs d'acier
de mariage, Jean III, satisfait, leur annonça que ses affaires en ordre, il se retirerait dans le duché d’Orléans que Philippe VI lui octroierait en dédommagement de cette couronne bretonne abandonnée à son neveu.
— Je ne savais rien de cela, dit Ogier.
— Eh bien, sache qu’à l’annonce de cet échange insensé, tous les Bretons s’indignèrent. « Quoi, dirent-ils , vous consentiriez, monseigneur, à nous livrer vous-même à la France ? Vous sacrifieriez sans remords, pour ce duché d’Orléans, l’intégrité de la Bretagne ? » Les esprits s’échauffaient : des prud’hommes aux hurons, aucun Breton sensé ne voulait tomber sous la sujétion du roi de France. On supplia Jean III de renoncer, mais il demeura ferme et fit étalage, devant ses vassaux, des malheurs d’une guerre civile.
Montfort reprit haleine ; Ogier s’étonna qu’il parût revigoré.
— Monseigneur, dit-il, prenez votre temps. Cette histoire me semble longue. Tout y est querelle. Ce que je sais, c’est que Jean III n’a jamais gardé longtemps ses épouses.
— Tu as raison ! On dit même qu’il m’a envié quand j’ai pris Jeanne de Flandre pour femme alors qu’il épousait, lui, Jeanne de Savoie [164] .
— Sans faire scandale, dit Godefroy d’Argouges, votre mariage a ébahi les nobles, les bourgeois et le commun.
— Et pour cause ! Jeanne m’apportait cinq mille livres de rente.
Un sourire trembla sur les lèvres pâles de Montfort : ce souvenir lui était doux.
— Peu après, reprit-il, Guy, frère de Jean III, mourut et fut enseveli aux Cordeliers de Guingamp auprès de Jeanne d’Avaugour, sa femme, la mère de Jeanne de Penthièvre… Et Jean III reporta toute sa tendresse d’homme privé d’enfants sur sa nièce… Il n’eut plus qu’une idée : lui trouver un mari… Il y avait Charles de Navarre, mais il avait cinq ans et elle quinze… Il y eut aussi le comte de Cornouailles, frère du roi d’Angleterre…
— Philippe refusa, dit Godefroy d’Argouges.
— Bien sûr : il lui fallait Charles de Blois.
— Et les épousailles eurent lieu, dit Ogier. Père y était.
— C’est à Rennes que j’ai désheaumé Guesclin.
— Oui, le mariage eut lieu, grogna Jean de Montfort. Peu après, Philippe s’en alla guerroyer en Flandre… Puis ce fut l’Écluse et une nouvelle campagne de Flandre commençait quand Jeanne de Valois [165] vous le savez sans doute, adjura les deux rois de se rencontrer à Arras pour décider d’une trêve. Celle-ci conclue pour un an, Philippe congédia ses hommes d’armes et Jean III quitta Tournai, où il avait accompagné le roi, pour revenir en son duché… En chemin, il se sentit malade…
— Il dut s’arrêter à Caen, dit Godefroy d’Argouges. Était-il si éprouvé ?
— Oh ! oui… Après son trépas, j’ai pensé qu’on l’avait peut-être enherbé [166] … Qui ? me direz-vous. Mais Philippe, afin que son neveu règne au plus tôt sur la Bretagne.
— C’est bien possible, dit Godefroy d’Argouges. Qu’avez-vous fait, monseigneur, lorsqu’on vous apprit que votre frère était malade ?
— Devançant tous les prud’hommes bretons, je fus admis à son chevet et lui exprimai mon regret de le trouver en cet état. Je lui dis qu’il avait toujours été juste et bon, excepté pour sa famille, et que s’il avait eu quelque sujet de mécontentement contre la reine, ma mère [167] , moi et mes sœurs en étions innocents… et qu’il ne nous avait jamais accordé l’amitié d’un frère. Il me répondit qu’il se pouvait que j’eusse raison, qu’il en demandait pardon à Dieu et à moi-même, et que s’il revenait en santé, il réparerait ses torts.
Le blessé cessa de parler ; son visage brillait de sueur. Ogier s’inquiéta :
— Messire, reposez-vous… Nous reviendrons vous voir dans la soirée. N’est-ce pas, Père ?
— Tu as raison… Je sais ce qu’il en coûte de revenir sur le passé, surtout quand il est plein de choses douloureuses… Il vaut mieux que nous partions… Votre front est brûlant… Nous reviendrons…
— Soit… Je vous dirai… tout.
Le blessé insista tellement sur ce tout qu’Ogier en fut ébaubi. Que voulait-il leur confier ? Un secret ?
Il quitta son père dans la cour, et ne sachant à quoi employer son temps, il siffla Saladin et décida de se coucher.
« Un traître », se dit-il en gravissant l’escalier menant au logis des hommes
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