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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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juste.
    « Voilà », songea-t-il. « Argouges a engrossé une fille. Il l’a abandonnée. C’est tout simple. » Devait-il en parler maintenant ? Lionel lisait dans ses pensées :
    – Votre parole de chevalier, messire, que vous vous abstiendrez de lui dire ce à quoi vous venez de songer !… Je suis assez grand pour ça.
    – Soit !
    Ils étaient seuls, l’un dominant l’autre du haut d’Alcazar, mais l’autre se hissant, par la force de son regard au niveau de ce prud’homme qu’il devait abhorrer lui aussi.
    –  Quand lui parleras-tu ? Lionel eut encore ce demi-sourire qui donnait à Tristan du mésaise :
    – Messire, pour obtenir un bon bouillon, il faut qu’il cuise longuement.
    Il y avait dans cette repartie une sorte d’avidité joyeuse. Et du défi. Peut-être aussi un autre sentiment plus fort auquel Tristan ne put donner un nom.
    – Argouges a-t-il un fils et si oui, est-il, lui aussi, chevalier ?
    – Il n’a qu’une fille – puisque je suis son gendre… Et il est pauvre. Si tu le veux, je puis t’énarrer sa vie…
    – Non.
    Lionel ramassa son arbalète et remit son camail sur sa tête. Aucun doute : son regard tout à coup s’était terni, révélant une mélancolie profonde. Sa fureur s’était délayée dans ce qui pouvait être un pleur.
    – Ne commets rien qui ne te soit funeste, garçon. Il vaut mieux recevoir, crois-moi, mon amitié que ma haine.
    – Vous ignorez ce qu’est la haine !
    –  Crois-tu ?
    Le garçon avait perdu cet air effronté qui seyait si mal à son beau visage. Ils n’avaient plus rien à se dire et cependant un fil ténu les accordait.
    – Il m’a dit des choses sur sa jeunesse, mais en fait, je n’en sais guère plus que toi. J’aimerais t’éclairer…
    – Gardez votre chandelle !
    Brusquement, Lionel réinstalla son arbalète sur l’épaule et partit rejoindre les siens : une douzaine de jeunes routiers sur lesquels il semblait régner en maître, voire en despote.
    « Merdaille », songea Tristan, « que dois-je faire ? »
    *
    Avignon fut en vue au soir du mercredi 12 novembre. La grande armée de penailles parmi lesquelles allaient et venaient, méfiants et hautains, quelque cent privilégiés adoubés comme pour une fête d’armes, planta ses trefs, ses aucubes et ses pavillons armoriés à l’entour de Villeneuve. L’on s’ébaudit aussitôt en pensant que l’on devait effrayer non seulement les Villeneuvois encaqués dans leurs murs, mais aussi, au-delà du pont Saint-Bénézet, la papauté tout entière, d’Urbain V à la plus infime des moineries en passant par toute cette prélature que la rumeur disait corrompue jusqu’aux moelles. Bagerant crut agréable de rappeler qu’en passant à Villeneuve, au mois d’août de l’année 62, les Compagnies d’Auvergne avaient commis de tels excès que le Cardinal Guy de Bologne avait été contraint de lancer contre elles les foudres de l’Église. Et d’ajouter fièrement :
    – Je ne crains nul foudroiement : je communie chaque nuit avec mon abbesse.
    Paindorge, qui l’avait aperçue à calefourchies sur une jument morelle (528) dit qu’il la trouvait belle. À quoi Tristan répondit :
    –  D’un sac dé carbounié pot pas sourti dé farine blanca.
    Présent, frère Béranger parut trouver ces amours dévoyées parfaites. Les autres clercs – six maintenant – eurent des lippes d’indulgence. Et Tristan de se demander dans quelle foule perverse il vivait.
    – Allons, lui dit Bagerant, ne t’érige pas en juge. Tu sais tout comme moi que la Papauté règne sur le fumier de la débauche, de la luxure et du vice… Tu sais que des vits archonnent 249 sous les frocs de bure et les robes cramoisies 250 . Or, tu verras bientôt, par-delà les Pyrénées, ce que je me suis laissé dire !
    – Quoi ?
    Bagerant le crapuleux semblait exulter. Il ajouta, branlant sa tête lourde de souvenirs horribles :
    – Tu vas voir où en est le clergé espagnol ! Les Mores, les Juifs et les Chrétiens ne se mélangent pas seulement dans les rues des cités et sur les places des marchés… Les chevaliers de Castille portent les couleurs des belles dames musulmanes, et les fières gentilfames chrétiennes de Séville et de Cordoue ne sont pas insensibles aux attraits des émirs grenadins… On accorde le don qui fait d’un homme un noble aux Mahoms et même on leur permet de jouter en champ clos. Les prêtres entretiennent un harem tout comme les

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