Les fontaines de sang
indigne et déchu du trône d’Espagne 315 . Il clamait que Pèdre n’était pas le fils du roi Alphonse, mais l’enfant d’un Juif et que, conséquemment lui, Enrique, était l’héritier légitime parce que le roi Alphonse avait fiancé sa mère, Leonor, qui ne lui avait accordé ses faveurs qu’à cette condition.
Par des chevaucheurs et des espions, l’on sut que Pèdre avait pris des dispositions pour s’opposer à l’avance des armées du Trastamare. La garnison de Magallon, qui défendait le chemin du pays de Burgos avait été renforcée. Le roi de Castille était allé à Calahorra exhorter ses fidèles à la résistance. De là, il avait gagné Briviesca. Dans cette place, les Chrétiens possédaient leur fort, les Juifs et les Mahomets chacun le leur. L’idée de les assaillir faisait venir à Guesclin l’eau – oui le sang – à la bouche.
– Nous laisserons en paix tous les Chrétiens. Nous exterminerons les Juifs et les Mahoms ; mais vous verrez : ils fuiront devant nous comme des moutons devant le loup !
– Certes, dit Henri de Trastamare, un soir, au conseil qui se tenait sous sa tente et auquel Tristan et son beau-père assistaient. Nous entrerons en force à Magallon. L’effroi qu’éprouveront ces maudits se répandra partout en Castille !
Le lendemain, dans une grande plaine arrosée d’un cours d’eau, on retrouva l’armée qui avait effrayé et ruiné une partie de l’Aragon. Ses chefs n’encoururent aucun reproche. Debout sur ses étriers, le Trastamare tendit sa dextre au-dessus de la tête de son genet à l’encolure enveloppée de mailles.
– Là, hurla-t-il, vous trouverez bons vins, belles femmes, viandes, fruits et beaux écus sonnants, le tout à votre convenance !
– Il faut attendre des jours meilleurs, dit Naudon de Bagerant. Il va neiger, le froid contrariera notre avance… Mais nous serons patients et d’une obéissance exemplaire.
Repu par les excès de toute sorte commis en Aragon avec ses compères, c’était bien de lui d’user d’un si vertueux langage !
*
– Calveley vous a-t-il salué en partant ? demanda Tristan à son beau-père.
– Oui, répondit Ogier d’Argouges. Jack Shirton également.
– Ne les croyez-vous pas différents de ce qu’ils étaient jadis ?
– Envers moi ?… Non… Mais je ne suis plus dans l’état où j’étais lorsqu’ils me sont venus en aide… Ils ne me l’ont pas dit mais je l’ai deviné : ils n’achèveront pas cette croisade avec nous. L’envie les tourmente de revenir à Bordeaux, voire sur la Grande île… Ils honnissent le roi Pèdre mais n’ont aucune estime pour le Trastamare et surtout pour Guesclin. S’ils n’ont pas débordé d’amitié envers nous, c’est, Shirton me l’a dit, afin de nous éviter de passer pour favorables à l’Angleterre. C’est aussi parce qu’ils savent qu’un jour nous les trouverons face à nous et non plus à côté.
– Croyez-vous que l’Angleterre va guerroyer contre nous ?
Le chevalier normand lâcha toute la bride à ses pensées :
– Elle en attend l’occasion. En quelques jours, Tristan, son armée de Guyenne peut se répandre en Navarre, en Castille et nous enfermer dans un étau d’acier. Le prince d’Aquitaine a digéré Poitiers. Il lui faut maintenant une autre nourriture.
– Quelle est-elle ? demanda Paindorge en cessait de panser Alcazar.
– Nous, dit Ogier d’Argouges en se remettant aiguiser son épée à l’aide d’une grosse pierre. Si je meurs, Tristan, garde cette arme que j’ai nommée Confiance il y a bien longtemps et qui ne m’a jamais trahi… Conserve mon armure. Si tu as un fils, donne les-lui… Que cette lame, à l’adoubement, lui caresse les épaules… Dis-lui que la première qualité d’un homme qu’il soit manant ou baron ou chevalier ou roi, c’est le courage. Pas seulement celui d’affronter ses ennemis, quels qu’ils soient, mais le courage du matin qui fait d’une journée entière une alliée plutôt qu’une adversaire… après qu’on l’ait dominée.
– Vous ne mourrez pas en Espagne ! proteste Lebaudy en cessant d’examiner les fers de Coursan.
– Qui sait, Girard ?… Qui sait, mon garçon ? Et ce ne serait pas pour une noble cause.
Quelqu’un passait tout près, hautain et comme détaché de tout ce qui n’était pas lui et son arbalète : Lionel. Le mon garçon , adressé à un soudoyer, pénétra dans son oreille comme un fer rouge.
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