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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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pays ! »
    Il faillit cracher le nectar quand le drapier posa sa nain sur son avant-bras :
    – Le roi Pèdre doit être à Tolède, mais il n’y restera qu’un jour ou deux parce que la peur le ronge. Il va se rendre à Séville, sa cité préférée. Vous pouvez donc emmener mes enfants à Tolède et, si Julio et Luysa n’y ont pas, vous pouvez sans encombre atteindre Guadamur… l’envoyé du Très-Haut ! Emmenez-les. Mon frère n’a jamais eu d’enfant. Luysa est bonne et pieuse… Comprenez-moi : j’ai peur. Mi famille s’éteint…
    Tristan se sentit enserré dans un réseau de danger, plus terribles que ceux qu’il avait imaginés jusque-là.
    – Messire, c’est impossible. Vous ignorez ce que sont ces hordes auxquelles vous reprochez, à juste rai son, la mort des Juifs de Briviesca. Si le Breton s’apercevait que j’ai un circoncis avec moi et que Teresa est sa sœur, c’en serait fait d’eux et de moi.
    – Vous me semblez en nombre pour les protéger.
    – Trois de mes compagnons sont récents, donc peu sûrs.
    Il était accablé. Comment cet homme en apparence obstiné avait-il pu si promptement fixer son choix sur un inconnu qui n’était ni de sa race ni de sa religion ? L’entente que supposait une telle confiance n’apparaissait même pas au détour des mots que le vieillard avait prononcés. Avec une étrange sensation d’orgueil, de compassion et d’incrédulité, il regardait ce Juif certainement angoissé au-delà de ce qu’il pouvait en juger. Il l’avait choisi, lui, un chrétien, pour sauver sa descendance ! Il était honoré, certes, et grandement. Des sentiments nombreux le traversaient, fulgurants comme des éclairs, sans qu’il pût en définir la nature.
    – Messire Pastor, dit-il d’une voix assourdie, vous avez certainement, parmi vos amis, des jeunes gens pleins de cœur, au sang fier, qui connaissent l’Espagne mieux que moi…
    D’un geste lent, le vieillard repoussa cette suggestion :
    – Outre qu’ils me demandent une fortune, je craindrais pour la… la pureté de Teresa.
    Le nom seul les accoisa l’un et l’autre. Et tout à coup le Juif voulut en savoir plus :
    – Êtes-vous marié ?
    – Oui, messire.
    – Fidèle ?
    –  Je n’ai jamais commis aucun tort à ma femme.
    – Teresa a quinze ans. Vous ?
    – Vingt-six (569) .
    – Alors, vous voyez bien…
    Ce vieillard obstiné se refusait à comprendre que Teresa était « joliment belle », désirable, et qu’un homme de vingt-six ans avait des ardeurs tout aussi véhémentes qu’un jouvenceau ! Peut-être se disait-il qu’un chrétien n’oserait jamais s’amourer d’une Juive. Comme si la beauté avait une race !
    – Messire, vous me demandez l’impossible !
    La vision en quelque sorte fugitive de Teresa l’avait troublé après tant et tant de semaines de continence en compagnie d’hommes aussi répugnants que des cloportes. Il ne s’était pas défendu de l’imaginer nue, dans ses bras, consentante. Il ne pouvait tout de même pas se confier à cet homme tourmenté davantage par la sauvegarde de sa petite-fille que par la protection de sa virginité !
    – Messire, je suis tenu de demeurer dans cette armée de malandrins. On m’y connaît et certains capitaines me détestent. Hormis les ribaudes qui nous suivent de loin, aucune femme digne de ce nom n’y est présente. Teresa et même Simon seraient sans cesse en danger.
    – À Burgos, ils seront en danger tout autant. Quand Enrique en sera parti, Pèdre y reviendra… Nous sommes menacés, vous dis-je. Notre communauté a demandé à un émissaire du nouveau roi l’autorisation de quitter la cité pour nous rendre soit en Portugal, soit en Aragon. Cela nous a été refusé. Pèdre nous respectait en puisant dans nos coffres ; tous les alliés du Trastamare nous tondront sur place puis nous égorgeront… Je considère que ma vie est terminée dès maintenant, mais ne puis accepter que les deux beaux enfants de mes enfants disparaissent.
    Tristan acquiesça. Juif ou pas, en l’occurrence et dans la peau d’un vieillard comme son hôte, il se fût exprimé pareillement. Son refus lui semblait impitoyable et injuste, et sa déception égalait sa tristesse.
    –  Messire, dit-il, admettons que je les prenne. C’est une supposition folle, mais je me dois de m’y livrer… Si nous disions que nous avons trouvé Simon errant dans Burgos… affamé, vêtu de lambeaux et mendiant son pain, on

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