Les fontaines de sang
le pays. Mais le cardinal ayant dit que, avec ce, ils conviendroient bailler deux cent mille francs, ce tint le Pape à grant merveilles. « On a accoutumé ce disoit-il, de nous donner de grans dons d’or et d’argent en la cité d’Avignon, pour absoudre les gens, et il convient que nous absolvions ceux cy à leur devise et encor que nous leur donnions du nostre, c’est bien contre raison. » Le Pape fît assembler les bourgeois. Ils consen tirent à payer 100 000francs 418 dont les routiers se contentèrent après avoir longtemps marchandé. Pendant qu’on levait cette somme, le Pape était en son palais qui « voyoit ceux de l’ost aller en fourrage et mener en leur logis bœufs, vaches, moutons, brebis, poulaille, vin, pain blanc et bis. « Haa ! Dieu, se dit le Pape, comme ces gens vont de mal en pis et se donnent de peine pour aller en enfer. »
L’argent étant disponible, l’absolution écrite et scellée en due forme, le prévôt du Pape se rendit à Villeneuve où les compagnies attendaient. Bertrand s’étant avisé, au moment de conclure, d’où venait l’argent, et celui-ci lui ayant répondu qu’il avait été levé sur le peuple, « lors, dit Bertrand : Prévost, je vous promets que nous n’en aurons denier en notre vie, se il ne vient de l’argent du Pape et de son riche Clergé. Et voulons que cet argent cueilly soit rendu à ceux qui l’ont payé, sans que riens perdent du leur. Et dites bien au Pape qu’il le leur fasse rendre, car si je savais que le contraire fût, il m’en perseroit, et eusse ores passé la mer, si retournerais je par deçà. " Adonc fut Bertrand payé de l’argent du Pape, et ses gens rechief absous. »
Cela, c’est la légende. Le clinquant. La contribution fut soldée par trésor apostolique en bon état. Elle fut acceptée par Guesclin qui ne fit aucune observation sur son origine. C’est ensuite que le cardinal de Jérusalem prétendit mettre à la charge de la ville 5 000 florins payés aux Compagnies, bien que ladite ville ne se fût engagée qu’à verser 1 500 florins.
En fait, il s’agit d’un événement ultérieur à celui qui eut lieu entre le 13 et le 25 ou 26 novembre 1365. Pour rançonner, piller, brûler, Guesclin était certainement le maître. Après la bataille de Najera où il fut capturé et relâché par le Prince Noir lorsque sa rançon eut été acquittée, le Breton se mit au service du duc d’Anjou qui voulait envahir la Provence. Il passa dans la région d’Avignon avec ses Bretons et ses mercenaires, mit le siège devant Tarascon (mars 1368) et rançonna la population deux fois de suite (580) .
Les tribulations d’Arnaud de Cervole
La traversée de la Bourgogne par Guesclin et ses routiers avait suscité une terreur anticipée : il y jouissait d’une réputation pire que celle d’Arnaud de Cervole. Vers la fin de septembre 1365, le bailli d’Auxois avait prescrit à ses prévôts de faire retraite tout le plat pais, pour cause des gens de messire Bertrand de Clesclin, qui devient passer par Bourgoigne, si comme messire le dux le mandoit audit bailli, j’ai soit (malgré) ce que parlay en chust audit messire Bertrand, comme il appert par ses lettres données à Paris le XXVIIe jour de septembre 419 ». Les inquiétudes provoquées par e passage étaient fondées. Un mois avant, par l’acte du 2 août mentionné ci-dessus, Guesclin s’était engagé vis-à-vis de Charles V, « à mettre hors de son royaume les Compaignies qui estoient es parties de Bretaigne, de Normandie et de Chartrain, et ailleurs es basses marches ». On voit que engagement s’appliquait à un certain nombre de compagnies déterminées, celles que le Breton connaissait le mieux et qu’il savait réunir et commander. Celles-là, il ne tenta pas de les séduire par des discours : il employa les arguments qu’il connaissait à la perfection : l’argent, l’assouvissement de toutes les convoitises. Il avait reçu du Trésor royal une avance de « 30 000florins d’or pour lui aider à mener en Grenade » (prétexte fallacieux) les routiers qui consentiraient à le suivre ! Leurs antécédents étaient loin de rassurer Philippe le Hardi et s’il n’osa pas contrarier leur passage, il s’efforça d’en atténuer les conséquences probables 420 .
Arrivé à Auxerre, le 10 octobre, Guesclin y rencontrai Guardia Raimon, seigneur d’Aubeterre, qui semble avoir été le grand recruteur et condottière des compagnies
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