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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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entamé.
    Luciane avait deviné ses pensées. Mieux encore : ses inquiétudes. Ils refusaient l’un et l’autre que se répétât la malaventure d’Ogier d’Argouges mandé à l’ost et réintégrant définitivement sa demeure après quinze années stériles.
    – La guerre est une pute, dit Luciane. Il lui faut toujours des hommes… Elle ne jouit que de leur mort !
    Ils étaient parvenus sous la voûte de la porte piétonne. L’obscurité y prenait la teinte de la nuit. Tristan fut immobilisé par une étreinte inattendue, vigoureuse, et des lèvres conquérantes montèrent jusqu’à sa bouche qu’elles mordillèrent. Un souffle clair, ardent, se transmuta en mots :
    – Je ne peux plus rester ainsi… Je veux t’appartenir… Je suis malade de te résister… Comprends-tu ?… Non !… Ne me touche pas ainsi : cela m’enflamme… J’aimerais, oui, j’aimerais… Mais je sens qu’on nous observe.
    Était-ce vrai ? La voix de Tiercelet éclata dans la cour :
    – Tristan !… Bon sang, n’a-t-il pas faim ?
    Des pas s’éloignèrent et la voix du brèche-dent répondit à celle de Paindorge. Dans l’ombre, des paupières légères, battirent sur des lueurs d’une évidente gaieté.
J’ai faim de toi, Tristan.
    Pour cet aveu Luciane confirmait un certain courage.
    – Tu es bien, lui dit-il, une Argouges accomplie.
    Était-ce un gage de bonheur ?

V
     
     
     
    Le jeudi 20 juin, de bon matin, Ogier d’Argouges et son beau-frère s’en allèrent à Coutances. Ils réapparurent au petit trot, vers midi, suivis d’un clerc sur une mule.
    – Holà ! Mes enfants, s’écria le seigneur de Gratot en mettant pied à terre, voilà le saint homme qui vous unira demain.
    Pendant que Luciane baisait la joue de son père, Tristan songea : « Il a tout apprêté au-dessus de ma tête… Où donc est-il allé chercher ce vicaire dont il ne m’a rien dit ? » Il se sentait manœuvré, acculé à l’acceptation des rites cérémoniels avant même d’y avoir été convié : « couillonné » eût dit son père qui, lui, l’avait été aussi – d’une façon différente.
    Grand, solide et glabre, le presbytérien avait retroussé les manches de sa coule et rejeté son capuce afin que son corps profitât en partie du soleil. Il semblait avoir rencontré Dieu dans une palestre plutôt que dans un moutier. La présence des dames accourues pour le saluer lui procurait un plaisir rare.
    – La force de l’âge… Par saint Michel, il a tout d’un homme d’armes !
    – Oui, compère, dit Thierry d’une voix altérée par une sorte de méfiance. On raconte, à Coutances, que Béranger Gayssot sera le nouveau coadjuteur de l’évêque. C’est par faveur spéciale de celui-ci qu’il célébrera votre messe de mariage… On dirait qu’il ne te convient pas.
    – Bah ! fit Tristan.
    Ce clerc admittatur lui déplaisait. Il s’étonnait que son futur beau-père l’eût choisi ou accepté.
    – Le mariage… murmura Luciane. Et tu restes coi !
    – Le mariage, dit-il.
    Ces deux mots lui semblaient davantage le reflet de ceux qu’elle avait prononcés qu’une répétition servile. Rien ne lui paraissait plus dangereux que cette formule trop nette et trop usuelle. Elle concentrait, dans la réalité, une multitude d’actes, de bonheurs ou de faillites. Ce qu’il considérait comme important, c’était que son union fût bénie par un prêtre véritable, authentifiée devant des témoins honnêtes ; c’était, à défaut de savoir Dieu présent par l’entremise de ce Béranger Gayssot, de voir Luciane « aux anges ». C’était de penser que leurs désirs, leurs élans, leurs ardeurs en toute chose allaient se compléter, s’exalter, se magnifier licitement. Point d’héroïsme, maintenant, dans son existence, mais une volonté de vivre autant pour le bien-être de son épouse que pour sa sérénité propre. Au seuil d’une nouvelle ère, il se sentait dans le même état d’esprit que la veille de son adoubement, prêt à tout pour avoir une existence belle, sans repentir d’aucune espèce. Or, ces sentiments-là, il les avait éprouvés déjà lorsque l’hypocrite Angilbert de Bruges, dans la chapelle de Brignais, l’avait uni à Oriabel. Comment eût-il pu oublier cette cérémonie abjecte célébrée devant la grande truanderie ? Quelques jours après, il avait appris par l’officiant lui-même que ce mariage était un simulacre. Quant à l’union qu’il

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