Les fontaines de sang
Fernandez, dame de Villa-Franca Tello, seigneur d’Aguilar, comte de Biscaye du chef de sa femme, dona Juana de Lara ; Sanche, comte d’Alburquerque, je crois ; Diégo et Juan…
– Vous en savez, des choses ! s’étonna dame Adèle.
– Les murs d’un couvent, plus encore que ceux d’une église, sont le réceptacle de toutes les rumeurs. Mais ce que je vous dis n’est qu’une miette de ce qui se passe en Espagne. Pour mieux comprendre le roi Pedro, il me faut préciser qu’il a eu pour précepteur et grand maître un homme d’une ambition extraordinaire : Alonzo d’Alburqerque qui, après l’avoir débarrassé d’Éléonore de Guzman, lui offrit, afin de le tenir plus sûrement dans sa main, une maîtresse : dona de Padilla. Celle-ci, plutôt que de se soumettre à Alburqerque, ne songea qu’aux membres de sa famille. Le grand maître se plaça à la tête d’une insurrection grandissime contre don Pèdre.
– Et notre Blanche… Blanche de Bourbon, là-dedans ?
La question émanait d’Ermeline un peu pâle. On disait au château qu’elle avait les seins secs. Son fils rejetant le lait de vache, Thierry, la veille, s’était rendu à Saint-Malo-de-la-Lande, d’où il avait ramené une chèvre laitière. Ce soir, il avait sans façon posé sa main sur l’épaule de la jeune femme. Ogier d’Argouges devait l’avoir vu accomplir ce geste avec sa sœur. Mais c’était tellement loin, cette peste de 1348 qui avait désuni les couples les plus aimants…
– Ah ! La reine Blanca… soupira Isambert. C’est la dernière méchante idée d’Alburqerque d’unir don Pèdre à Blanche de Bourbon, qui est, par ma foi, la belle-sœur de notre roi… La pauvre fut délaissée dès le jour du mariage.
– La pauvre ! répéta la bonne dame Adèle.
Tristan soupira. Il avait connu ou plutôt vu de près la reine Blanche. Était-ce son fantôme qui hantait, comme on le prétendait, le château de Puylaurens ? Mais déjà, son souffle repris, Isambert poursuivait :
– La malheureuse reine fut alors traînée de prison en prison… tandis qu’Alburqerque galopait vers les marches du Portugal avec le maître de l’Ordre de Calatrava. Il s’allia avec deux des bâtards : don Enrique, don Fadrique et le seigneur Fernando de Castro pour détrôner le roi et lui faire payer son infâme conduite envers dona Blanca… et je dois dire que le Pape s’en mêla. En vain. Pèdre épousa dona Juana de Castro après avoir fait annuler son premier mariage par les évêques de Salamanque et d’Avila… et tout comme la mariée précédente, dona Juana fut abandonnée le lendemain de ses noces, ce qui eut pour conséquence de jeter le duc de Castro dans l’opposition et l’insurrection, dont le centre était Toledo… Tolède.
– Quel homme ! soupira Béatrix. Se marier pour une nuit de noces ! Ce roi est un malade, et je plains ses épouses…
Toutes les femmes acquiescèrent. Les hommes ne dirent mot, honteux, eût-on dit, pour le tyran d’Espagne.
– Alburqerque mourut, reprit Isambert. On prétend qu’il fut empoisonné sur ordre de Pedro. Les séditieux, par l’entremise de dona Maria, demandèrent au roi une entrevue à Toro. Il s’y rendit et tomba dans un piège. Prisonnier de ses sujets, il vit les nobles qu’il avait effrayés se disputer les dignités et les fonctions de gouvernement. Mais Pedro s’évada et ce fut alors qu’il exerça des vengeances qui firent de lui le cruel dont on parle. Il reprit Tolède et Toro. Sa mère, terrifiée par les châtiments qu’il faisait subir aux vaincus, se réfugia en Portugal où son père la fit mettre à mort.
– Voilà, dit Ogier d’Argouges, une famille digne de ces Mores d’Espagne dont j’ai ouï parler !
Isambert approuva d’un mouvement de tête, chauffa ses mains aux flammes et reprit d’une voix plus faible :
– Ce sont les Juifs, complices de don Pèdre, qui lui ont ouvert les portes de Tolède. Don Fadrique fut pardonné. Don Henri également, lors d’un tournoi à cinquante contre cinquante, dans un champ de Tordesillas (494) . Puis ce fut la guerre entre le roi de Castille et le roi d’Aragon, Pierre IV, depuis longtemps ennemis acharnés…
– Sous quel prétexte ? demanda Ogier d’Argouges.
– La capture, sur les côtes, de deux navires italiens par la flotte catalane. Et cette guerre dura cinq ans… cinq ans lors desquels la cruauté du roi s’envenima encore !… Il décida
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