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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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tortes dépouillées précocement. Çà et là, sur le sol, quelques flaques d’une pluie ancienne reflétaient un soupçon de ciel. De temps en temps, à l’arrière, s’entendait la rumeur des voix et même quelques rires brefs. À la mélancolie de la vesprée s’ajoutaient la circonspection et la maussaderie des hommes.
    On avait chevauché sans doute un quart de lieue quand un homme apparut sur la barbute duquel tombait la première larme d’une étoile. L’obscurité plus dense tout à coup l’habillait de noir des épaules aux genoux noyés dans des herbes drues qui pouvaient être des fougères. De la pointe de son épée, il désigna, dans un vallon, des ténèbres bruyantes où flamboyaient des feux. Ils étaient là. Peut-être avaient-ils placé, invisibles, des regards 194 derrière quelques troncs vigoureux.
    – Dieu nous aide ! proclama frère Béranger en se portant à la dextre de Guesclin.
    – Que penses-tu de lui ? demanda Ogier d’Argouges.
    Tristan que ce prêtre aux façons brusques inquiétait, se contenta d’un « Rien » qui ne dissipait point le mésaise que cet ecclésiastique répandait à l’entour de sa personne. Le capuce ne disculpait point la férocité 195 de sa face sanguine où, sous une apparente bénignité, stagnaient des malices d’inquisiteur. À la ceinture de cuir épais qui marquait sa taille pendillaient une Croix de bois et un tranchelard branlant dans sa gaine de fer. Chaque matin, il disait une messe brève. Et c’était tout. Il n’avait jamais accueilli un homme en confession alléguant qu’il serait bien temps de procéder à ce lavage des âmes lorsque la guerre commencerait. Il semblait qu’il eût voulu être de ce lugubre pèlerinage en Espagne pour s’y désennuyer de ses tâches sacerdotales.
    – Quand l’évêque m’a dit qu’il fallait l’emmener et que nous devions veiller sur lui, que voulais-tu que je réponde ?
    –  Amen , sourit Tristan. C’est à Dieu de veiller sur sa vie. Nous aurons bien trop à faire pour préserver la nôtre !
    – C’est vrai, mon gendre. Si je meurs…
    – Holà !
    – Si je meurs quand nous serons bien avancés dans les terres, va jusqu’à Tolède, qu’ils appellent Toledo. Demande où gîte Pedro del Valle.
    – Un armurier, l’époux de votre cousine Claresme. Je sais…
    – Dis-leur que j’ai pensé à eux souventefois et que je les aimais fort.
    – Nous irons ensemble.
    – Qui peut savoir…
    Tristan n’osa regarder, dans l’ouverture du bassinet, cette face à peine plombée par l’âge, lourde de souvenirs auxquels il ne pourrait accéder. Son beau-père n’était pas de ces guerriers qui éprouvaient du plaisir à énarrer leurs aventures, même celles dont ils pouvaient s’enorgueillir. La bouche assez grosse, mélancolique, se pinçait, et les yeux humides regardaient en avant sans voir ni Alcazar ni Guesclin ni qui que ce fût. Ainsi, il n’était pas un homme allant vers son destin, mais un preux qui sentait l’usure des batailles, une âme cheminant vers sa destinée sans trop se soucier de ce qu’elle lui réservait, sans redouter qu’elle devînt terrible. Il supportait bien l’armure de fer – une armure obtenue en Angleterre lors d’une joute à la lance de guerre, après laquelle, bien que victorieux, il était demeuré un an l’otage de Hugh Calveley, puisque Édouard III avait décidé qu’il en serait ainsi. Il s’exprimait fort peu sur cette otagerie bien que son cœur parût s’alourdir lorsqu’il y faisait référence. Un regret inconnu opprimait sa mémoire. Un regret que sa fille elle-même ne s’essayait point à sonder.
    – Je connais Calveley. Il était mon ami.
    –  Je sais. Il l’est sûrement encore.
    – L’autre idiot va faire une triste figure quand il verra que nous nous connaissons.
    Maintenant, on entendait droit devant des cris, des roulements de tambours et des frappements de nacaires. Plutôt que de la joie, c’était une misère lamentable qu’exprimaient ces musiques où parfois, lorsqu’elles s’apaisaient, s’immisçaient, faussement mélodieux, les flûtiaux des ribaudes occupées à frétiller devant des cohortes d’hommes ivres de vin ou de volupté.
    – Quand on les a vus à Brignais…
    – J’imagine, mon gendre, ce que tu dois éprouver.
    Dans un creux où macéraient les brouillards des feux à cuire la mangeaille, des centaines de tentes aux aspects de taupinières apparurent, jonchant une

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