Les foulards rouges
n’avançait guère. En outre, le jeune roi se révélait chaque jour
davantage un véritable roi et il serait bientôt difficile de faire accroire que
Louis XIV se trouvait « l’otage » d’Anne d’Autriche et de Mazarin. Dès
lors, la Fronde perdrait son principal prétexte.
Plus grave encore, Anne d’Autriche abandonnait
le pouvoir à son fils mais celui-ci conservait toute sa confiance à Mazarin. Ainsi,
rien n’était réglé, tout au contraire : on perdait une régente en la
direction de l’État, mais on « gagnait » un roi… et conservait
Mazarin en même place, et plus légitime encore que par le passé.
Enfin, Turenne était un adversaire de grande
valeur, assisté par le comte de Nissac. Ce Nissac ! Il portait chance, ne
perdait jamais ses batailles ! Que n’était-il mort, ou resté demi-fou
travaillant en les fermes. Et que ne l’avait-il rejoint : avec ce général
et son artillerie, la Fronde l’emporterait avec aisance, presque sans lutte.
Décidément, le temps ne travaillait point pour
la Fronde !
Il fallait écraser sans pitié aucune l’armée
royale. Il fallait tuer, tuer encore, tuer plus que jamais, tuer à tour de bras
car un soldat mort ne se remplace point facilement. Tuer, hélas, comme un
bûcheron coupe les arbres afin que les troupes de Louis XIV ne se puissent
reconstituer. Tuer Turenne, par « accident », mais le tuer. Tuer
Nissac et tous ses excellents canonniers qui furent jadis ses soldats et lui
apportèrent la victoire.
La politique se fait les yeux ouverts, mais le
cœur fermé.
Et cette victoire acquise, il fallait se
dépêcher vers Paris en crevant les chevaux sous soi. Prendre Paris, soumettre
totalement la capitale, cela permettrait de tenir tout le pays.
Condé observa le premier rang de ses escadrons
rangés en ordre de bataille. Les chevaux piaffaient, les visages durs des
cavaliers donnaient grande et bonne confiance.
C’est une véritable tempête qui, en pleine
nuit, allait s’abattre sur l’armée royale paisiblement endormie.
Sous la tente, couchée
sous la paille fraîche, Mathilde de Santheuil ne dormait point.
Le comte de Nissac, nerveux comme un fauve, l’avait
quittée peu auparavant, afin de contrôler la garde aux canons. Dommage. Ils
avaient merveilleusement fait l’amour et la jeune femme espérait s’endormir sur
la poitrine du comte.
À ceci près qu’elle l’aimait trop pour ne
point sentir sa nervosité et, plutôt que de le deviner malheureux à ses côtés, c’est
elle qui l’avait invité à aller voir ses troupes.
Après s’être habillé en silence, non sans
gravité, il lui avait souri en disant :
— La nuit est inquiétante. Le silence
lui-même ne me semble point naturel.
— Mais… C’est la nuit ! avait-elle
répondu.
Nissac balaya l’objection avec un sourire :
— J’ai servi assez longtemps dans l’armée
condéenne pour savoir que ce genre de détails n’arrête point le prince. Tout au
contraire, il y trouve inspiration. À y bien réfléchir, il ne rencontrera pas
de longtemps situation si favorable.
— Mais le prince n’est point en la région…
— Bien sûr que si ! Je m’appelle
Loup, et flaire un autre loup dix lieues à la ronde !
Se penchant vers elle, il posa baiser délicat
sur les lèvres de la jeune femme en lui disant :
— Dormez, mon tendre amour. Je veille.
Anthème Florenty se
détacha d’un groupe de canonniers qui discutaient autour d’un feu et, le
mousquet sur l’épaule, s’approcha du comte.
En raison de l’humidité, Florenty avait
couvert son mousquet d’une toile et le comte de Nissac nota ce détail à quoi se
reconnaît un très bon soldat. Car outre le pistolet, où il excellait, l’ancien
faux saunier et habile chasseur se montrait redoutable au mousquet.
— Tu ne dors pas ? demanda le comte.
Florenty ébaucha une grimace.
— Je n’aime point cette nuit-là, monsieur
le comte.
— Alors nous voilà deux !
Ils firent quelques pas, scrutant les ténèbres,
puis le comte de Nissac regarda son compagnon.
— Ta femme, tu y songes beaucoup ?
— Elle et les deux garçons qui nous sont
venus pendant les trois années de… votre absence.
— Voudrais-tu être près d’eux en cet
instant ?
Florenty devina que le comte lui aurait rendu
sa liberté, pourvu qu’il la demandât même en cette voie détournée. Mais plusieurs
choses l’en empêchaient :
— Monsieur le comte, chez nous, on achève
besogne
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