Les foulards rouges
lui donnait la seule chance de jamais s’expliquer et d’obtenir un
possible pardon.
S’étonnant à peine de sa propre audace, il
posa sa main sur celle de Nissac :
— J’y consens avec le plus grand plaisir
car je sais qu’avec vous ma fille sera heureuse.
Nissac prit la main de Mathilde et la posa sur
celle de son père avant d’y placer la sienne.
— Merci de consentir à notre bonheur !
dit le comte.
Puis il se leva, vida son verre d’un trait, posa
sur ses épaules sa longue cape noire, coiffa son chapeau marine au bord rabattu
sur les yeux et aux hautes plumes rouges et blanches.
Enfin, souriant à Mathilde et Joseph :
— Je m’en vais faire courir mon cheval
qui est jeune et ardent à la course. Je serai sans doute de retour dans deux
heures, car vous avez bien des choses à vous dire.
Et il se retira sans rien ajouter.
Au carrefour de la rue
du Trahoir, le comte de Nissac se dirigea vers la Porte de Buci par la rue
Dauphine et passa devant l’hôtel de Condé où se voyait grande activité, messagers
arrivant et repartant en toute hâte, peloton rendant les honneurs au carrosse d’un
grand seigneur venu faire sa cour ou proposer ses services.
Dès qu’il atteignit les premiers champs, le
comte poussa son cheval sur une lieue puis lui fit adopter galop plus sage.
Nissac s’interrogeait non point sur l’utilité
de la rencontre qu’il venait de provoquer entre Mathilde et son père – il la
croyait nécessaire, la rendant donc inévitable – mais sur les chances qu’elle
aboutisse à un résultat heureux.
Cette affaire le déchirait. Il comprenait la
décision de Joseph, quinze ans plus tôt, comme elle avait dû lui coûter et
combien le hasard y présida : l’enfant, s’éloignant d’elle-même – vers son
destin, qui était de le rencontrer un jour ? –, précipitait la décision
tacite des parents.
Mais pareillement, il comprendrait que
Mathilde refusât d’entrer en ces considérations, ne se souvenant que de la
terreur qui avait été sienne lorsqu’elle s’était retrouvée seule en cette
grande ville inconnue.
Il revint vers Paris au pas, songeant que deux
choses pouvaient pousser Mathilde à la clémence. Tout d’abord le remords de Joseph,
qui ne l’avait quitté à aucun des instants de sa vie. Ensuite, la terrible
punition qui avait été la sienne puisqu’il avait perdu peu ensuite sa femme et
tous ses autres enfants.
Le comte de Nissac entra « Aux Armes de
Saint-Merry » le cœur serré d’angoisse et ce qu’il vit le convainquit sur
l’instant de son échec car Mathilde et Joseph se tenaient tous deux aux
extrémités de la table, ne se parlant point et ne se regardant pas davantage, tels
gens qui se veulent ignorer l’un l’autre.
Nissac s’approcha, son chapeau à plumes à la
main, se demandant quelle attitude adopter en ces circonstances lorsque, brusquement,
tout changea. En effet, Mathilde se précipita en les bras de Joseph qui la
serra contre lui, caressant délicatement ses cheveux, puis ils se séparèrent et,
souriants et heureux, firent face au comte.
Mathilde prit la main du comte de Nissac et la
porta à ses lèvres en disant :
— Merci, mille fois merci, cher amour, et
excusez cette comédie mais nous voulions vous surprendre comme nous le sommes
nous-même : j’ai retrouvé mon père.
— Et moi ma fille ! murmura Joseph
en maîtrisant son émotion.
Le comte jeta son chapeau à plumes sur une
table, avec cette élégance qui marquait chacun de ses gestes puis, d’un ton
joyeux :
— Quoi de plus naturel ?
67
Le comte de Nissac s’en vint seul au cœur
secret de Notre-Dame pour rencontrer le duc de Salluste de Castelvalognes, général
des jésuites, qui l’avait discrètement fait mander.
Après qu’ils se furent salués avec émotion, le
religieux passa sa main, en un geste qui lui était familier, sur l’horrible
cicatrice boursouflée au côté gauche de son visage.
— Ainsi, vous m’avez trouvé comme si je
ne me cachais point ? demanda le comte.
— Tu sais, nos espions sont partout. Même
chez ce remarquable homme de police, Jérôme de Galand. Mais je crois qu’il a un
homme chez nous, ce qui nous vaut jeu égal.
— Galand ! répéta Nissac.
— Précisément.
— Galand est des nôtres, j’entends de
notre « Grande Cause ».
— Je le sais et m’en réjouis. C’est un
homme de grande valeur. Mais je t’ai fait venir pour une affaire urgente qui
touche ton
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