Les foulards rouges
qu’on pensât qu’il fut jadis voleur.
— Voleur ? questionna le cardinal.
Le vieil homme hésita :
— La bague !… Elle ne pouvait point
lui appartenir, il était de condition trop misérable.
Un prêtre, qui jusqu’ici n’avait rien dit
encore, s’avança à son tour vers le Premier ministre :
— Votre Éminence, les choses sont bien
plus compliquées qu’on ne l’imagine ici.
— Eh bien parlez ! répondit Mazarin,
intéressé.
Le prêtre ne se fit point prier davantage :
— Votre Éminence, il est bien des points
obscurs en cette histoire mais votre présence me laisse à penser qu’il s’agit
peut-être là d’une affaire d’État ?
Surpris, Mazarin fronça les sourcils.
— Quand bien même ?
— La Fronde a des espions partout, même
parmi les gens les plus simples d’apparence…
Le cardinal comprit immédiatement et s’empressa
de faire sortir les autres « témoins ».
37
D’un esprit agile, et la parole habile, ce qui
en faisait un interlocuteur de choix, le prêtre commença son récit :
— Je pense, au contraire de ces gens, que
« L’homme sans nom » est tout autre qu’un voleur. Un voleur ! Un
voleur qui parle latin et grec mieux que je ne saurais le faire, n’en
connaissant point comme lui toutes les finesses ?… Allons donc !… À
moi, il fit des demi-confidences. Ainsi, sa mémoire remonte assez loin en
arrière, environ trois ans. Il se souvenait d’avoir été mené en bien piètre
état par un religieux aux Camaldules de Gros-Bois, où vivent moines et ermites.
Il en repartit au bout de quelques mois, semblant remis de blessures nombreuses
reçues d’épées et de balles. Il errait sans aucun but lorsque aux environs de
Gien, la fièvre venant de ses anciennes blessures le prit. La vieille Hoarau le
ramassa mourant et le soigna avec ses remèdes qui la faisaient passer pour
sorcière, comme celle qu’on faillit brûler voici peu et qui est à l’origine des
troubles graves que vous savez.
— Et c’est là qu’il se battit avec talent
si grand, si inimaginable, que j’en fus prévenu ? demanda le cardinal.
— Votre Éminence, c’est bien cela. Avec
les événements de la Fronde et toutes ces guerres, le peuple est nerveux et
cherche un but à sa colère. La vieille Hoarau n’étant plus de ce monde, on se
souvint d’une autre vieille, la veuve Pesch, qui cultive aussi les herbes de
pleine lune. Cortège se forma donc pour l’aller chercher et, malgré mon
opposition on la battit puis la traîna par les cheveux, bien qu’elle eût
quatre-vingts ans d’âge ! Sa maison avait mal impressionné le peuple car
en cette demi-ruine poussent ronces et orties tandis qu’on y voit nombreuses
chauves-souris et que les corbeaux s’assemblent en groupes sur un vieil orme
mort qui voisine la ruine. Or donc, l’officier du guet entouré de quinze de ses
hommes interrogea devant le peuple la femme Pesch qu’on disait sorcière. Elle
ne comprenait pas, roulait des yeux affolés vers la foule hurlante et son
pauvre vieux visage saignait d’abondance de tous les coups reçus. On lui
demanda si elle allait aux assemblées de sorcières, à quoi, sous les coups, elle
répondit que oui. On lui demanda encore si elle s’y rendait à cheval sur une
fourche ou sur le dos d’un bouc noir aux yeux rouges, à quoi la pauvre vieille
devenue demi-folle répondit toujours oui, d’où il fut conclu qu’elle était bien
sorcière et avait commerce avec le diable. On la lia à un calvaire de granit et
l’on entassa les fagots. On allait y mettre le feu quand… « L’homme sans
nom » s’approcha, les mains vides, et dit simplement mais d’une voix forte :
« Non ! »
— C’est lui ! murmura Mathilde de
Santheuil, joignant les poings devant sa bouche.
Le cardinal, qui commençait à croire la chose
possible car bien dans la manière chevaleresque de Nissac, invita d’un geste
impatient le prêtre à poursuivre.
Mais celui-ci demeura un instant le regard
perdu au loin, l’air rêveur, un vague sourire aux lèvres avant de reprendre :
— Je ne sais toujours pas pourquoi, mais
cette voix impressionna et la foule s’écarta pour livrer passage à « L’homme
sans nom ». Parvenu devant le bûcher, tandis que la vieille pleurait, les
gardes sortirent l’épée et intimèrent à « L’homme sans nom » qu’il
devait se rendre car déjà, par ses paroles, on le considérait comme rebelle.
« L’homme sans
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