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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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paisible, comme sous l’emprise d’une drogue. J’observai Charlie. Son visage s’était adouci et détendu   ; sa douleur et sa colère avaient disparu, oubliées. Il était bouleversé. Il me regarda dans les yeux et me sourit.

 
    Dans le monde immuable des faits et des chiffres, le scintillement de l’or dura approximativement vingt-cinq minutes, mais, en vérité, le temps que nous passâmes à fouiller la rivière ne fut ni bref ni long   ; il échappait en quelque sorte à la notion même de temps   : j’avais le sentiment que nous étions
hors
du temps   ; notre expérience était tellement exceptionnelle que nous fûmes transportés dans une dimension où les minutes et les secondes ne signifiaient rien, et n’existaient pour ainsi dire même plus. Chez moi, ce sentiment n’était pas seulement provoqué par la richesse que représentait tout cet or, mais également par la pensée que cette aventure était née dans l’esprit d’un seul homme, et bien que je n’eusse, jusque-là, jamais réfléchi à la notion d’humanité, que je ne me fusse jamais demandé si j’étais heureux ou malheureux d’être un homme, j’éprouvai à présent une sorte de fierté à l’égard de l’esprit humain, de sa curiosité comme de sa persévérance. Je ne cessai de me féliciter d’être en vie, d’être moi-même. L’or dans nos seaux rayonnait intensément, et l’éclat de la rivière répandait sa lumière sur les branches et les troncs alentour. Un vent chaud descendait dans la vallée et glissait à la surface de l’eau. Il me caressa le visage et fit danser mes cheveux devant mes yeux. Je n’ai jamais été plus heureux qu’à cet instant précis, et ne le serai jamais plus. J’ai, depuis, eu l’impression que c’était trop de bonheur d’un coup, que les hommes ne sont pas faits pour connaître un tel degré de béatitude   ; ce moment a sans nul doute amenuisé les autres instants de joie que j’ai pu connaître par la suite. Quoi qu’il en soit, et rien n’est peut-être plus normal, c’était une sensation que nous ne pouvions éprouver trop longtemps. Ensuite, tout se mit à aller de travers. Tout devint sombre, et, d’une manière ou d’une autre, entra en relation avec la mort.

 
    En revenant vers la berge, Morris fit un faux pas et tomba du barrage dans la partie la plus profonde du cours d’eau. Il coula et ne refit point surface. L’or ne brillait déjà plus   ; mon frère et moi étions assis sur le sable près du feu, nous nettoyant à la hâte avec l’eau et le savon que Warm avait préparés. Je dois dire qu’en pénétrant dans la rivière je n’avais presque rien senti   ; entre les picotements provoqués par la froideur de l’eau et ma propre excitation, je n’avais rien remarqué de désagréable. Mais, dès que le scintillement de l’or se fut éteint, une obsédante sensation d’intense chaleur s’était emparée de moi, concentrant toute mon attention. Je me dépêchai de m’asperger et de me frotter les mains, les jambes et les pieds. Charlie allait deux fois moins vite que moi, et je lui vins en aide quand j’eus terminé de mon côté. Je venais d’en finir avec ses jambes lorsque j’entendis Morris crier. Je levai les yeux et le vis qui tombait.
    Charlie et moi accourûmes sur la rive, tandis que Warm gagnait le centre du barrage, son lourd seau à la main. Il regardait la rivière, impuissant, et Charlie lui cria de se servir du bâton de Morris, resté planté dans le barrage, pour le sortir de là, mais Warm parut ne rien entendre. Il posa son seau à ses pieds, et le visage sombre, reculant d’un pas, il sauta dans les eaux empoisonnées et refit surface, Morris sous le bras. Ce dernier était inerte mais respirait encore, les yeux clos, sa bouche béante pleine d’eau.
    Tandis qu’ils sortaient de la rivière, Charlie et moi nous approchâmes pour leur venir en aide, mais Warm nous cria de ne pas les toucher, et nous obtempérâmes. Ils s’allongèrent sur le sable, haletants, épuisés, et je me précipitai pour aller chercher

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