Les Frères Sisters
vais en ville pour me ravitailler. Tu es sûr que ce nâétait pas lui il y a une minute  ? Jâai cru reconnaître sa stupide face de bouffon.
â Non, câétait Charlie. Il est parti dans les bois faire sa toilette. On part vers le sud pour chercher de lâor.  »
Je lâentendis faire le tour de Tub, puis revenir. «  Où est ton équipement  ? demanda-t-il. Tu dis que tu vas chercher de lâor, mais tu nâas pas dâéquipement.
â On a prévu de lâacheter à Sacramento.
â Comme ça, dâentrée, tu vas perdre de lâargent. Seuls les imbéciles achètent leur matériel en ville.  »
Je nâavais rien à répondre à cela. Il me frappa la cuisse et dit, «  Je te parle.  » Je restai silencieux et il me frappa à nouveau.
«  Arrête de me taper comme ça.  »
Il me donna un coup. «  Tu nâaimes pas ça, hein  ?  » Il récidiva.
«  Je te dis dâarrêter.
â Et tu crois peut-être que je vais tâobéir  ?  » Il me frappa et appuya son fusil contre ma jambe douloureuse. Une brindille craqua quelque part. Il se détourna et la pression du fusil sur ma cuisse se relâcha. Je me saisis du canon et lui arrachai son arme des mains. Le prospecteur se précipita dans les bois. Je me tournai et appuyai sur la détente, mais le fusil nâétait pas chargé. Je mâapprêtais à sortir mon pistolet lorsque Charlie apparut de derrière un arbre et abattit nonchalamment le prospecteur dans sa course, dâun impact à la tête qui fit sâenvoler lâarrière de son crâne à la manière dâune casquette emportée par le vent. Je mis pied à terre et mâapprochai en boitant du corps parcouru de spasmes. Ma jambe me faisait souffrir le martyre et jâétais fou de rage. Le crâne de lâhomme baignait dans un sang pourpre qui moussait dans les replis de sa cervelle  ; levant le pied, jâenfonçai de tout mon poids le talon de ma botte dans le trou, écrasant ce qui restait du crâne, et lâaplatissant de sorte que la tête nâavait plus rien dâhumain. Lorsque je retirai ma botte, câétait comme si je lâavais extraite de la boue. Puis je mâéloignai du corps sans raison particulière sinon celle de fuir ma propre colère. Charlie mâappela, mais ne me suivit pas, car il savait quâil faut me laisser seul quand je suis dans cet état. Je parcourus cinq cents mètres environ et mâassis sous un grand pin  ; genoux contre la poitrine, jâeffectuai des mouvements alternés de tension et de relaxation. Jâavais les mâchoires si crispées que je coinçai le fourreau de mon couteau entre mes dents, de peur quâelles ne se brisent.
Je me mis à genoux et baissai mon pantalon pour examiner lâétat de ma jambe. Ma peau était enflammée, et je distinguais parfaitement la forme circulaire du canon, ou plutôt dâune série de canons, une demi-douzaine de zéros rouges. à la vue de ces marques, la colère me reprit et je formai le vÅu que le prospecteur revînt à la vie afin que je pusse le tuer de mes propres mains, mais lentement. Je me levai dans lâidée de continuer à mutiler le corps, de lui vider mon chargeur dans lâestomac, mais, fort heureusement, je changeai dâavis. Jâavais le pantalon toujours baissé, et après avoir recouvré quelque peu mon calme, je me saisis de mon organe pour me compromettre. Quand jâétais jeune homme, et que mes accès de colère devenaient incontrôlables, ma mère me conseillait dâutiliser cette méthode afin de retrouver lâapaisement â technique qui, depuis, mâa été fort utile. Une fois mon affaire finie, je retournai à la rivière. Je me sentais vide et froid, mais la colère mâavait quitté. Jamais je nâai compris ce qui pousse certains à profiter de la faiblesse des autres pour les tyranniser  ; câest la seule chose capable de me mettre hors de moi.
Je localisai le tunnel â comme il lâappelait  â du défunt prospecteur. Je mâétais figuré un passage souterrain permettant de circuler debout, avec des supports en bois et des lanternes suspendues,
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