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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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vais en ville pour me ravitailler. Tu es sûr que ce n’était pas lui il y a une minute   ? J’ai cru reconnaître sa stupide face de bouffon.
    â€” Non, c’était Charlie. Il est parti dans les bois faire sa toilette. On part vers le sud pour chercher de l’or.   »
    Je l’entendis faire le tour de Tub, puis revenir. «   Où est ton équipement   ? demanda-t-il. Tu dis que tu vas chercher de l’or, mais tu n’as pas d’équipement.
    â€” On a prévu de l’acheter à Sacramento.
    â€” Comme ça, d’entrée, tu vas perdre de l’argent. Seuls les imbéciles achètent leur matériel en ville.   »
    Je n’avais rien à répondre à cela. Il me frappa la cuisse et dit, «   Je te parle.   » Je restai silencieux et il me frappa à nouveau.
    Â«   Arrête de me taper comme ça.   »
    Il me donna un coup. «   Tu n’aimes pas ça, hein   ?   » Il récidiva.
    Â«   Je te dis d’arrêter.
    â€” Et tu crois peut-être que je vais t’obéir   ?   » Il me frappa et appuya son fusil contre ma jambe douloureuse. Une brindille craqua quelque part. Il se détourna et la pression du fusil sur ma cuisse se relâcha. Je me saisis du canon et lui arrachai son arme des mains. Le prospecteur se précipita dans les bois. Je me tournai et appuyai sur la détente, mais le fusil n’était pas chargé. Je m’apprêtais à sortir mon pistolet lorsque Charlie apparut de derrière un arbre et abattit nonchalamment le prospecteur dans sa course, d’un impact à la tête qui fit s’envoler l’arrière de son crâne à la manière d’une casquette emportée par le vent. Je mis pied à terre et m’approchai en boitant du corps parcouru de spasmes. Ma jambe me faisait souffrir le martyre et j’étais fou de rage. Le crâne de l’homme baignait dans un sang pourpre qui moussait dans les replis de sa cervelle   ; levant le pied, j’enfonçai de tout mon poids le talon de ma botte dans le trou, écrasant ce qui restait du crâne, et l’aplatissant de sorte que la tête n’avait plus rien d’humain. Lorsque je retirai ma botte, c’était comme si je l’avais extraite de la boue. Puis je m’éloignai du corps sans raison particulière sinon celle de fuir ma propre colère. Charlie m’appela, mais ne me suivit pas, car il savait qu’il faut me laisser seul quand je suis dans cet état. Je parcourus cinq cents mètres environ et m’assis sous un grand pin   ; genoux contre la poitrine, j’effectuai des mouvements alternés de tension et de relaxation. J’avais les mâchoires si crispées que je coinçai le fourreau de mon couteau entre mes dents, de peur qu’elles ne se brisent.
    Je me mis à genoux et baissai mon pantalon pour examiner l’état de ma jambe. Ma peau était enflammée, et je distinguais parfaitement la forme circulaire du canon, ou plutôt d’une série de canons, une demi-douzaine de zéros rouges. À la vue de ces marques, la colère me reprit et je formai le vœu que le prospecteur revînt à la vie afin que je pusse le tuer de mes propres mains, mais lentement. Je me levai dans l’idée de continuer à mutiler le corps, de lui vider mon chargeur dans l’estomac, mais, fort heureusement, je changeai d’avis. J’avais le pantalon toujours baissé, et après avoir recouvré quelque peu mon calme, je me saisis de mon organe pour me compromettre. Quand j’étais jeune homme, et que mes accès de colère devenaient incontrôlables, ma mère me conseillait d’utiliser cette méthode afin de retrouver l’apaisement — technique qui, depuis, m’a été fort utile. Une fois mon affaire finie, je retournai à la rivière. Je me sentais vide et froid, mais la colère m’avait quitté. Jamais je n’ai compris ce qui pousse certains à profiter de la faiblesse des autres pour les tyranniser   ; c’est la seule chose capable de me mettre hors de moi.
    Je localisai le tunnel — comme il l’appelait  — du défunt prospecteur. Je m’étais figuré un passage souterrain permettant de circuler debout, avec des supports en bois et des lanternes suspendues,

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