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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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mais il s’agissait en fait d’un petit boyau à peine assez large pour y ramper, situé au niveau de la partie la plus étroite du ruisseau, là où il y avait à peine un mètre à traverser. Nous traînâmes le corps du prospecteur jusque-là, et le poussâmes dans le trou. Puis je montai sur Tub et lui fis traverser le ruisseau de long en large à cet endroit précis, pour faire s’effondrer le passage. Nous ne trouvâmes que peu d’effets sur sa personne, un couteau de poche, une pipe, et une lettre que nous enterrâmes avec lui, et dans laquelle nous lûmes   :
    Â 
    Chère Mère,
    Je me sens seul, et les jours sont longs ici. Mon cheval est mort, et c’était mon meilleur ami. Je pense à ta bonne cuisine et me demande ce que je fais là. Je crois que je vais bientôt rentrer. J’ai près de deux cents dollars de paillettes d’or. C’est loin de la fortune que j’avais espérée, mais suffisant dans l’immédiat. Comment va ma sœurette
 
? Non qu’elle me manque beaucoup. A-t-elle épousé son gros lard
 
? J’espère qu’il l’a emmenée très loin
 
! J’ai constamment l’odeur de la fumée dans les narines, et je n’ai pas ri depuis tellement, tellement longtemps. Mère
 
! Je crois que je vais partir d’ici peu.
    Avec tout mon amour,
    Ton fils
    Â 
    En y repensant à présent, je me dis qu’il eût été préférable de poster la lettre. Mais comme je l’ai dit, quand la colère m’envahit, tout s’assombrit et devient étriqué dans mon esprit, et de telles pensées ne m’effleurent même pas. C’est triste de songer à ce squelette sans tête sous cette eau vive et froide. Je ne regrette pas la mort de l’homme, mais j’aurais voulu mieux maîtriser mes émotions. Le fait de perdre le contrôle de moi-même m’effraie moins qu’il ne me plonge dans l’embarras.
    Une fois débarrassés du prospecteur, Charlie et moi nous mîmes à la recherche de son or. Il ne fut pas difficile à trouver. Il l’avait enterré à une vingtaine de mètres de son campement, en indiquant l’emplacement avec un petit crucifix fait de brindilles. Il n’y avait pas l’air d’en avoir pour deux cents dollars, mais je n’avais jamais eu de paillettes entre les mains et ne pouvais donc pas me reposer sur mon jugement. Nous fîmes moitié-moitié et je vidai ma part dans une vieille blague à tabac que je trouvai au fond de ma sacoche.
    Charlie passa la nuit sous la tente, et j’essayai de faire de même, mais je ne pus supporter l’odeur persistante du prospecteur et celle du cadavre de son cheval, qu’il avait découpé et dont la viande séchait sur une claie de fortune à l’arrière de l’abri. Je sortis donc, m’installai près du feu et passai la nuit à la belle étoile. Il faisait froid, mais ce n’était pas un froid pénétrant. Charlie sortit de la tente une demi-heure après le lever du jour   ; il avait l’air d’avoir pris dix ans, et beaucoup plus crasseux aussi. Il tapa sur sa poitrine et un nuage de poussière se répandit autour de lui   ; il décida qu’un bain matinal s’imposait. Il prit une marmite du prospecteur qu’il remplit d’eau au ruisseau et la posa ensuite sur le feu. Puis il chercha un endroit suffisamment profond, se déshabilla et sauta dans l’eau froide en criant à tue-tête. Assis sur la rive, je l’observai tandis qu’il s’aspergeait et chantait   ; il n’avait rien bu la veille, et nul n’avait cherché à contrarier son tempérament impétueux. Quelque chose m’émut dans ce spectacle rare de bonheur innocent. Jeune homme, Charlie avait souvent été heureux et enjoué, avant de devenir dur et méfiant quand nous avions commencé à travailler pour le Commodore. J’éprouvai donc une espèce de tristesse à le regarder batifoler dans cette eau scintillante, avec les sommets enneigés qui se dressaient autour de nous. L’espace d’un instant, il revisitait ses vieilles habitudes, mais son caractère présent n’allait pas tarder à reprendre ses droits. Il sortit de l’eau en courant et se précipita nu près du feu. Ses

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