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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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il y a quelque temps. Il va l’installer sur des cales et en louer à l’unité les cabines à ceux qui cherchent où dormir, ou à des commerçants. Il se fera, comme ça, une petite fortune en un rien de temps. C’est une leçon pour vous, messieurs. Ce n’est peut-être pas avec les rivières elles-mêmes qu’on gagne de l’argent, mais avec les hommes qui y travaillent. Extraire l’or de la terre est par trop hasardeux. Il y faut non seulement du courage et de la chance, mais il faut aussi pouvoir travailler comme une bête de somme. Alors pourquoi s’échiner quand nous sommes déjà si nombreux à le faire, qu’on s’entasse en ville les uns sur les autres, et qu’on s’empresse de dépenser jusqu’à la dernière paillette   ?
    â€” Pourquoi n’ouvrez-vous pas une boutique   ?   » demandai-je.
    La question le surprit, et il réfléchit un instant à la réponse qu’il pourrait me donner. Lorsque celle-ci lui vint, de la tristesse apparut dans son regard, et il secoua la tête. «   J’ai bien peur que mon rôle dans tout cela ne soit déjà écrit   », dit-il.
    J’étais sur le point de lui demander à quel rôle il faisait allusion lorsque j’entendis un son porté par le vent, le bruit sourd de quelque chose qui s’écrase ou se brise dans le lointain, suivi d’un sifflement qui transperça l’air dense de l’océan. La corde d’une des poulies s’était rompue, et je vis l’homme au costume noir se pencher au-dessus d’un cheval couché sur le côté dans le sable. Voyant qu’il n’était pas en train de le fouetter, je compris que l’animal était mort ou mourant.
    Â«   C’est la folie ici, non   ? dis-je à l’homme.
    â€” La folie, oui. Et je crains que cette folie n’ait altéré mon être. En tout cas, elle en a sans aucun doute dénaturé plus d’un.   » Il hocha la tête, comme s’il se répondait à lui-même. «   Oui, elle m’a corrompu.
    â€” Comment ça, corrompu   ?
    â€” Comment pourrais-je ne pas l’être   ? s’interrogea-t-il.
    â€” Ne pourriez-vous pas rentrer chez vous pour recommencer à zéro   ?   »
    Il secoua la tête. «   Hier j’ai vu un homme se jeter du toit de l’Orient Hotel, et il a ri tout au long de sa chute, et quand il a touché le sol il a explosé pour ainsi dire. Il était saoul, a-t-on dit. Mais je l’avais vu complètement sobre juste avant. Il y a ici quelque chose qui peut vous corrompre jusqu’à l’os, si vous ne vous en défendez pas. C’est la folie du possible. Le geste ultime de cet homme incarne l’esprit collectif de San Francisco. Je l’ai parfaitement compris. J’ai eu une très forte envie d’applaudir cet homme, si vous voulez savoir la vérité.
    â€” Je ne comprends pas pourquoi vous me racontez cette histoire, dis-je.
    â€” Je pourrais partir d’ici, rentrer chez moi, mais je ne serais plus celui que j’étais avant, expliqua-t-il. Je ne reconnaîtrais personne, et personne ne me reconnaîtrait.   » Il se tourna pour contempler la ville, et caressa sa volaille en gloussant. Un coup de feu retentit au loin. Puis on entendit le galop d’un cheval   ; et le hurlement d’une femme qui bientôt se transforma en ricanement. «   Un grand cœur avide   », dit-il avant de disparaître dans la foule. Sur la plage, l’homme s’était éloigné du cheval mort   ; il contemplait la baie, et la multitude de mâts. Il avait ôté son chapeau. Il doutait, et je ne l’enviai point.

 
    Ã€ l’hôtel, nous frappâmes à la porte de Morris, mais il ne répondit point. Charlie crocheta la serrure et nous entrâmes. Nous trouvâmes ses affaires de toilette, ses parfums et ses pommades entassées sur le sol près de l’entrée. Rien d’autre ne signalait sa présence   : ni vêtements ni bagages   ; le lit était fait et les fenêtres soigneusement fermées. J’eus l’impression que Morris était parti depuis plusieurs jours. Son absence manifeste en devenait presque inquiétante, car même s’il était vrai que nous

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