Les Frères Sisters
particulier. Quand ses mains cessèrent de bouger, jâaurais parié jusquâà mon dernier sou que lâétoffe était dans sa main gauche. «  La main gauche  », dit le propriétaire tandis que je tressaillais dâavance. Hélas, la femme ouvrit son poing et il était vide. Le propriétaire se leva dâun bond. Littéralement, il sauta. Je cachai tant bien que mal ce que je ressentais, mais, en mon for intérieur, jâétais moi aussi abattu. Charlie, qui avait tout suivi, était à la fois amusé et contrarié.
«  Quel est le but de ce jeu  ? demanda-t-il.
â Trouver le morceau de tissu, répondit le propriétaire innocemment.
â Mais quel est lâintérêt  ? Gagnez-vous souvent  ?
â Je nâai jamais gagné.
â Et combien de fois avez-vous joué  ?
â Beaucoup, beaucoup de fois.
â Vous gaspillez votre argent.
â Comme tout le monde.  » Il nous observa plus attentivement. «  Que voulez-vous tous les deux, au fait  ? Manger  ?
â Nous cherchons Warm.  »
En entendant ce nom, les yeux du propriétaire sâassombrirent, et il baissa la tête. «  Câest vrai  ? Eh bien, si vous le trouvez, saluez-le de ma part  !  » Il avait prononcé ces mots avec une telle amertume que Charlie demanda, «  Vous vous êtes querellé avec lui  ?
â Je lâai nourri bien des fois, ébloui par son numéro dâombres et de lumières. Jâaurais dû savoir quâil ne respecterait pas notre accord.
â De quel genre dâaccord sâagissait-il  ?
â Câest personnel.  »
Je dis, «  Vous deviez lâaccompagner à la rivière illuminée, câest ça  ?  »
Il se crispa, et demanda, «  Comment le savez-vous  ?
â Nous sommes des amis de Warm.
â Warm nâa pas dâamis à part moi.
â Nous avons avec lui une relation de longue date.
â Je regrette, mais je ne vous crois pas.
â Nous sommes ses amis, dis-je, et nous savons quâil en a dâautres, également. Il a récemment soupé ici avec un certain monsieur Morris, par exemple.
â Quoi, ce fragile petit homoncule  ?
â Il paraît quâils sont partis ensemble à la rivière.
â Warm ne partagerait jamais ses secrets avec un homme aussi raffiné.  » Mais après y avoir réfléchi un instant, il sembla se raviser. Il soupira. «  Je suis de mauvaise humeur aujourdâhui. Jâaimerais être seul pour jouer. Asseyez-vous messieurs, si vous souhaitez manger. Sinon, laissez-moi en paix.
â Savez-vous où il pensait mettre en Åuvre son opération  ?  »
Lâhomme ne répondit pas. Il recommença à jouer avec la femme. Lorsque les poings de celle-ci sâimmobilisèrent, il lança, «  Main droite.
â Gauche  », répondit la femme.
Il ressortit un nouveau dollar. «  Encore  », dit-il, et les mains de la femme reprirent leur petite danse.
â Nous pensions lui rendre visite, sur sa concession  », poursuivis-je.
La femme tendit les poings, et le propriétaire souffla bruyamment. «  Dans la gauche.
â Droite, dit-elle.
â Pouvez-vous nous dire quand vous lâavez vu pour la dernière fois  ? mâenquis-je.
â Vous ne mâavez pas entendu vous demander de me laisser seul  ?  » répondit-il.
Charlie souleva son manteau pour faire apparaître ses pistolets. «  Je veux que vous nous disiez tout ce que vous savez, et plus vite que ça.  »
Le propriétaire ne parut ni surpris ni inquiet. «  Hermann avait parlé du jour où vous autres arriveriez. Je ne lâai pas cru.
â Quand lâavez-vous vu pour la dernière fois  ? répétai-je.
â Il est venu il y a quatre ou cinq jours. Il voulait me montrer un nouveau chapeau. Il a dit quâil viendrait me chercher le lendemain matin pour aller à la rivière. Je suis resté ici, dans cette pièce comme un imbécile, pendant plusieurs heures.
â Mais il ne vous a jamais dit de quelle rivière il sâagissait, il ne vous a jamais donné le moindre
Weitere Kostenlose Bücher