Les grandes dames de la Renaissance
délivrant des soucis que lui causait Charles Quint, la malheureuse essaya de réconcilier François I er avec l’empereur, son frère.
Mais elle n’y parvint point, et cela encore la rendit amère. Finalement, voyant que son rôle se bornait à briller dans les parties de chasse, elle s’éloigna de la Cour et vécut le plus souvent dans un petit cercle de dames espagnoles.
Un jour, Frédéric II, électeur palatin, qui avait été l’amant d’Éléonore avant qu’elle n’épousât le vieux roi du Portugal [116] , fut reçu à Paris. Se trouvant seul avec celle qu’il avait éperdument aimée vingt ans plus tôt, il lui rappela le temps de leurs rendez-vous secrets, et son regard brilla…
La reine était encore belle, malgré des lèvres un peu lourdes. Elle aurait, certes, pu alors se venger des infidélités du roi et faire une fois, avec l’électeur palatin, ce que François I er faisait quotidiennement avec la duchesse d’Étampes. Elle n’y songea probablement pas et répondit fort dignement, d’après l’historien de Frédéric, que « ce qu’elle avait accueilli en ce temps n’était qu’un badinage, car, dès lors, elle voulait être reine [117] ».
Puis elle ajouta :
— J’ai été heureuse au Portugal. Mais, pour cette Cour de France, Dieu sait comment j’y suis traitée et la manière dont le roi en use avec moi !
Ce fut sa seule plainte, son seul moment de faiblesse.
Comme pour lui donner raison, le roi, quelque temps après, faisait brusquement repasser les Pyrénées à toutes les dames espagnoles qui se trouvaient à la Cour, privant ainsi Éléonore des seules personnes amies qui l’entouraient.
Fort chagrinée, la malheureuse souveraine vécut désormais dans une espèce de retraite, entièrement consacrée à des exercices de piété…
François I er ne s’aperçut même pas de l’effacement de la reine. Il était fort occupé pour lors à se réjouir d’une nouvelle qui le ravissait et le remplissait d’orgueil. Le dauphin François, âgé de dix-sept ans, avait une maîtresse depuis plus d’un an. Pris par ses propres aventures, le roi ne s’était douté de rien, et voilà qu’on lui apprenait d’un coup que son fils n’était pas aussi niais qu’il en avait l’air et qu’il avait été déniaisé…
La jeune partenaire du dauphin était M lle de l’Estrange, fille d’honneur de la reine. Elle était fort jolie, à en croire Clément Marot, qui dit dans ses Étrennes :
À la beauté de l’Estrange,
Face d’ange,
Il donne longue vigueur,
Pourvu que son gentil cœur
Ne se change.
Le dauphin l’avait connue au cours d’un bal champêtre, en dansant le « bransle ». Deux heures plus tard, il était devenu son amant.
Tous ces détails ravissaient le roi, lui qui considérait avec tristesse « tous puceaux âgés de plus de quatorze ans »…
À la fin d’octobre de 1535, François I er apprit que Francisque Sforza, dernier duc de Milan, venait de mourir, et il en fut satisfait.
Aussitôt, il se disposa à se saisir de ce duché qu’il convoitait depuis longtemps et pensa que l’occasion était peut-être venue de mettre également la main sur la Savoie, qu’il appelait le « portier des Alpes », et dont la position stratégique lui semblait fort importante.
Il leva une armée et, pour la première fois, cette armée fut composée d’hommes du peuple. En effet, le Trésor était trop vide pour qu’on pût payer des mercenaires, et le roi, depuis la trahison du connétable de Bourbon, se méfiait de la noblesse.
À la tête de ces troupes, se trouvait l’amiral Chabot de Brion (grand protégé de la duchesse d’Étampes) ainsi que les deux fils aînés du roi : le dauphin François et le prince Henri.
Avant de quitter Paris, Henri, avec sa froideur habituelle, fit ses adieux à Catherine de Médicis, puis il se rendit chez Diane de Poitiers à seule fin de lui montrer qu’il partait à la guerre en portant ses couleurs : le blanc et le noir [118] …
Les troupes gagnèrent Lyon, puis s’élancèrent fougueusement vers les Alpes et, malgré un hiver rigoureux, s’emparèrent en quelques semaines de la Savoie et du Piémont.
Timoré, indécis, l’amiral de Brion fut un peu ébloui par sa victoire rapide et n’osa pas pousser tout de suite jusqu’au Milanais. Faute qui rendit le roi furieux.
Immédiatement tombé en disgrâce, l’infortuné amiral fut remplacé par Montmorency, qui
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