Les guerriers fauves
père.
— Vous pouviez, sans doute, reprit Hugues en s’adressant à lui, amener à Barfleur le cadeau d’Henri II sans que cela attire l’attention, mais vous ne pouviez, en aucun cas, dissimuler le départ d’une esnèque armée pour la haute mer, avec à son bord des soldats d’élite proches du roi.
— C’est vrai.
— Vous ne m’avez pas dit si les pirates avaient réussi à vous dérober quelque chose cette nuit.
— Non, et comme leur incursion sur le knörr a aussi été un échec, ils sont repartis bredouilles. Ils étaient mal renseignés et devaient croire que le butin était resté à bord de l’esnèque. Le trésor ne me quitte jamais. Il est dans les coffres que vous voyez là-bas.
Tous se tournèrent vers les trois coffres rangés au fond de la tente. Ils étaient faits du même bois, décorés d’armatures ouvragées.
— Il n’y a donc plus de doute sur le fait que ce navire de guerre en a après nous, reprit Hugues. Je voulais aussi vous signaler que j’ai reconnu un homme vu à Barfleur, la veille du départ.
— Expliquez-vous.
— Vous êtes venus manger à l’auberge, Tancrède et moi nous tenions non loin de vous.
— Je m’en souviens.
— Un homme qui boitait bas vous observait et, après votre départ, a rejoint un individu portant un grand mantel gris qu’il avait jusque-là feint d’ignorer. Ils sont sortis ensemble, peu de temps après vous. Ce boiteux fait partie des hommes tués cette nuit.
L’Orcadien ne répondit pas. Les sourcils froncés, il semblait en proie à de sombres réflexions.
— Maintenant, fit Hugues en s’adressant à son protégé, parlez-nous, Tancrède, de l’homme à l’arbalète.
— J’étais dans les roseaux quand des pirates sont passés à côté de moi, menés par un homme vêtu d’un grand mantel et portant dans son dos une arbalète.
— Vraisemblablement le chef et celui qui a tué vos guerriers. Un tireur habile et le seul d’entre eux à posséder ce genre d’armement.
— Le paro, le manteau gris, l’arbalète ! Mais je connais le gars dont vous parlez ! s’exclama soudain Harald. Il est redouté par les marins, mais d’habitude il opère plutôt en Gironde. Il est de là-bas et comme les navires marchands ralliant Bordeaux ne manquent pas... Il serait remonté vers la Normandie ?
— La valeur de notre cargaison et le fait que nous escortions un knörr rempli de marchandises ont dû attiser bien des convoitises.
— En tout cas, c’est lui, j’en suis sûr. Son paro est insaisissable et je pense qu’il a un pilote hors du commun. L’homme à l’arbalète, une vraie légende chez nous, les marins. On le surnomme le diable de la Seudre ! On le dit capable d’apparaître en plusieurs endroits à la fois. Il ne fait pas de quartier et nul ne connaît son visage. Il paraît qu’il est né à Mornac et que tous ses hommes viennent de là-bas.
— Vous vous souvenez, je vous avais parlé de la Seudre, messire. Un rude coin où sévissent les naufrageurs, renchérit Pique la Lune. Maintenant que vous le dites, Harald, cela me rappelle quelque chose.
— De toute façon, il est sûr que ce diable-là est à nos trousses et peut-être n’est-il pas le seul.
— Il faudra prévenir Corato, jugea Harald. D’ailleurs, il nous faudra rester davantage à La Rochelle que prévu. Knut a réussi à rafistoler la vergue du knörr, mais les moines n’avaient pas de pièce de bois suffisamment longue. Nous espérons en trouver une sur le chantier, là-bas. Cela signifie au moins deux jours au port.
— Nous devrions continuer sans le knörr, gronda Magnus. Sans lui, nous serions déjà loin.
— Avec tout le respect que je vous dois, c’est impossible, protesta Harald. Votre mission est d’escorter le trésor, la mienne est de respecter un accord passé entre notre roi et la famille Délia Luna qui affrète le navire marchand.
La figure de l’Orcadien se tordit sous l’effet de la colère. L’homme était violent et peu habitué à ce qu’on discute ses ordres.
— Nous n’irons pas contre l’avis du roi, concéda-t-il à contrecoeur. De toute façon, cette attaque aura au moins eu du bon : maintenant, nous sommes prévenus. Si ce paro, ou un autre navire, approche, nous l’attaquerons. Diable de la Seudre ou pas, nous déposerons notre présent aux pieds du roi de Sicile !
— Ce n’est pas si simple, déclara gravement Hugues.
— Que voulez-vous
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