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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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ateliers PICARD afin de chercher les fournisseurs les moins chers, l’idée ne présentait plus le même intérêt quelques semaines plus tard. Fulgence Létourneau avait réduit le coût de revient des marchandises. Surtout, le petit homme méritait maintenant certains égards, pour des motifs familiaux.
    — Vous me présentez les vêtements de la prochaine saison un peu tard cette année, n’est-ce pas ? demanda le patron.
    — Comme mon personnel devient bien restreint, les dessins me sont parvenus ce matin seulement. Je suis venu aussi vite que possible.
    Jamais l’effectif n’avait été aussi réduit depuis le ralentissement de 1913. Edouard étala les feuilles sur le bureau devant lui. Les esquisses au crayon montraient les modèles de manteau ou de veste susceptibles de séduire les clientes en novembre ou en décembre suivant.
    — La semaine prochaine, j’aurai les robes, les jupes et les blouses.
    — C’est bien. Cela ressemble { ce que j’ai vu dans les magazines européens ou américains.
    — Cela ne doit pas vous surprendre : nos employés s’en inspirent, changent une ligne ici, une autre là, recommandent un tissu un peu plus chaud à cause de notre climat.
    Les belles de Québec continuaient de suivre la mode des villes plus grandes avec un léger retard.
    — Nous devons maintenant déterminer les quantités, remarqua Edouard en plaçant un registre sur les dessins.
    Il l’ouvrit afin de voir les colonnes de chiffres relatives aux dernières semaines.
    — Les choses vont-elles mieux ? questionna le visiteur, une pointe d’inquiétude dans la voix.
    — Les ventes augmentent lentement, le chômage paraît se résorber. Mais l’hiver est toujours une saison difficile, une fois passé l’achalandage de Noël et du jour de l’An. Nous allons produire les mêmes quantités que l’an dernier.
    En 1918, l’appareil de production demeurait encore mobilisé par l’effort de guerre. La modestie du chiffre des ventes se trouvait alors avantageusement compensée par les prix très élevés. Un an plus tard, cela conclurait l’année sur une mauvaise note. Le commerçant ferma son registre en laissant échapper un soupir.
    — Ne nous décourageons pas, la situation évoluera bientôt dans la bonne direction. . Et pour vous, comment les choses se passent-elles ?
    Fulgence demeura un moment interdit. Thomas Picard ne manquait jamais de conclure leurs entretiens sur une note personnelle. Le fils entendait peut-être suivre son exemple.
    — Les journées sont longues aux ateliers. Comme le nombre des employés se trouve à son plus bas, nous prolongeons les heures.
    En période de chômage, les ouvrières n’osaient pas protester à la perspective de faire plus de douze heures par jour. Dans une meilleure conjoncture, elles auraient tout simplement cherché un emploi ailleurs.
    — Je comprends, ce n’est facile pour personne. Moi-même, je quitte ce bureau bien tard. Je n’ai même pas la prétention que cela serve à quelque chose : je contemple les chiffres, je cherche le moyen de faire des économies. Cela n’amène toutefois pas un client de plus dans le magasin.
    Edouard marqua une pause, puis demanda encore :
    — Votre femme se porte-t-elle bien ?
    — Oui, Thérèse demeure en bonne santé.
    Vraiment, le jeune patron connaissait une étrange métamorphose.
    — Votre garçon. . voulez-vous me rappeler son nom?
    — Jacques.

    — Il doit bien avoir dix ans maintenant. Je suppose qu’il fréquente l’école { Limoilou.
    — L’école Saint-Charles. Mais nous l’avons inscrit { la classe préparatoire du Petit Séminaire pour septembre prochain. C’est un peu cher pour nous. .
    «Mais c’est moi qui paie », songea son interlocuteur avec humeur.
    — Cela m’inquiète un peu, poursuivit Fulgence. Puis le trajet en tramway entre Limoilou et la Haute-Ville prend bien du temps, il devra partir à sept heures du matin, revenir à la même heure le soir.
    — À cet âge, on possède tellement d’énergie. Songez-vous à lui faire faire ses humanités ?
    Pour une personne de la condition de son vis-à-vis, cela paraissait un peu présomptueux.
    — Il a beaucoup de talent, répondit le visiteur sur un ton de fausse modestie. Nous ferons tout pour lui permettre d’aller aussi loin que possible.
    Le marchand songea encore { l’ironie de la situation. Ils parlaient des perspectives d’avenir de son neveu.
    — Vous faites bien de l’encourager. Qui sait, il s’agit peut-être

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