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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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pour six bons mois, et ensuite à porter des teintes sobres, discrètes, pour une période équivalente.
    Veuve depuis peu, Elisabeth devrait se contraindre au grand deuil pendant une année. Depuis la banquette arrière, elle contemplait le jeune couple. Tout en vivant dans la même maison, en partageant le même lit tous les soirs, ces deux-l{ s’éloignaient l’un de l’autre de façon irrémédiable.
    Cela ne laissait présager rien de bon pour l’avenir.
    Le jeune entrepreneur se joignit à la longue file de voitures. Bientôt, le cortège s’engagea rue Saint-Jean, roula jusqu’au chemin Sainte-Foy. Depuis un an, ce pèlerinage se répétait trop souvent, songeait-il. Surtout, il venait bien tôt après la mort de Thomas.
    Plusieurs minutes plus tard, le corbillard se rangea sous les grands arbres. Le défunt, conservateur en politique et dans la vie, étrennait pourtant une extraordinaire innovation dans la mort : il était le premier à bénéficier du seul corbillard automobile de la ville de Québec !
    Les employés de la firme Arthur Cloutier, une entreprise du faubourg Saint-Jean, en sortirent le cercueil. Les témoins de la scène aperçurent la grimace de ces hommes. Le vieux notaire, mort sans avoir maigri au cours d’une longue maladie, pesait de tout son poids. Ils gagnèrent une allée ombragée avec leur fardeau. Derrière eux, suivaient les proches. Madame Dupire profitait d’un fauteuil roulant, car ses vieilles jambes ne la supportaient que pour de très brefs trajets. Son fils la poussait devant lui. Eugénie, à ses côtés, paraissait tout à fait étrangère aux événements. Sans ses vêtements de deuil, on aurait pu la prendre pour une promeneuse.
    Venait ensuite une ribambelle de parents, de partenaires d’affaires, de clients fidèles, de membres de sociétés pieuses.
    La procession s’arrêta devant un trou creusé dans la terre brune. Fernand apprécia l’amoncellement de fleurs, et surtout les grands arbres. Le lieu respirait la sérénité. Il songea que son père s’y plairait, puis trouva ce genre de sensiblerie ridicule. Au mieux, son père, assis sur un nuage, profitait de la présence de Dieu. Au pire, il n’en subsistait plus rien. Cette pensée fugitive le troubla profondément.
    Dans le fauteuil roulant, sa mère paraissait immunisée contre toute forme de doute. Elle présentait un visage désolé, encore incapable de bien se figurer ce que serait sa vie sans ce compagnon des trente-cinq dernières années.
    Tous les deux s’étaient connus sur le tard, après avoir abandonné l’espoir de se marier. Pourtant, par un curieux mimétisme, ils en étaient venus à se ressembler étrangement. D’accord sur tout, les divergences entre eux se limitaient { d’infimes nuances.
    En posant les yeux sur sa conjointe, Fernand se fit la réflexion que son propre mariage, un peu tardif lui aussi, avait connu une évolution diamétralement opposée, au point de se trouver aux antipodes de celui de ses parents.
    Autant Eugénie avait érigé un mur entre elle et lui, autant ses parents s’étaient montrés complices l’un de l’autre.
    Les jeunes enfants du couple, incapables de bien saisir le sens des derniers événements, étaient demeurés à la maison. Cela valait mieux. Inutile de les troubler précocement avec la finalité inéluctable de l’existence. Jeanne leur tenait compagnie. Le souvenir de la domestique tira l’ombre d’un sourire au jeune professionnel.

    Le soleil tapait fort, tous les hommes suaient sous leur col et leur cravate. Certains cuisaient sous un feutre tandis que d’autres, plus imprudents, offraient une tête nue aux rayons assassins. Heureusement, les chapeaux de paille dominaient l’assemblée. Pour libérer au plus vite ces personnes, le prêtre expédia la prière, le sermon et la bénédiction. Au bout de vingt minutes, les spectateurs commencèrent à se disperser.
    Au lieu de suivre ce mouvement, ses deux compagnes en remorque, Edouard marcha vers les proches du défunt.
    Gentiment, il posa un genou à terre devant la veuve pour lui prendre les mains et déclarer :
    — Madame, je vous offre de nouveau mes condoléances sincères.
    — Et je te remercie encore. Dieu paraît bien pressé d’avoir de la compagnie. Ton père d’abord, parmi toutes ces victimes de la grippe, puis mon pauvre Léon.
    Le jeune homme songea qu’il entendait évoquer pour la première fois le vieux tabellion par son prénom. Sa profession en avait fait

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