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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Saint-Charles, la Chevrolet s’engagea sur le chemin de la Canardière. Le niveau sonore les empêchait de poursuivre la conversation. Alors que sa compagne se concentrait sur la conduite, Marie se perdit dans la contemplation du paysage. Le soleil de l’après-midi éclaboussait la campagne,
    le
    véhicule
    soulevait
    un
    nuage
    de
    poussière.
    Après une heure, Elisabeth se gara tout près des chutes Montmorency. Elles descendirent pour se rendre sur le cap rocheux, en surplomb de la rivière. Sous leurs pieds, une plaine étroite s’étendait entre la falaise et le fleuve, deux cent cinquante pieds plus bas. Un peu vers l’est, elles apercevaient l’usine de textiles. La petite paroisse de Saint-Grégoire se développait grâce aux centaines de travailleurs regroupés là.
    — Le point de vue est magnifique, remarqua la marchande.
    — Oui, c’est très beau. Cela donne des envies de voyage.
    — Tu es allée en Europe, je pense.
    Le souvenir rendit Elisabeth un peu songeuse. Afin de dissimuler la grossesse d’Eugénie, peu après les grandes festivités du tricentenaire, elle avait accompagné la jeune fille sur le vieux continent d’abord, puis dans l’Etat de New York.
    — Oui, { l’automne de 1908. Ce furent des semaines inoubliables. Si tu as l’occasion d’y aller, saisis-la.

    — Tu n’y penses pas. Non seulement c’est hors de prix, mais je ne peux pas abandonner ma caisse pendant bien longtemps.
    — Pourtant, tu reviens tout juste du Bas-Saint-Laurent, n’est-ce pas ?
    Marie rougit un peu de l’allusion { sa dernière escapade à Rivière-du-Loup.
    — Un congé de seulement deux semaines. Pour aller en Europe, je devrais m’absenter pendant deux mois. . dont le tiers serait gaspillé pour le trajet lui-même.
    — La traversée est une expérience en soi. Mais tu as raison, un voyage de ce genre ne se présente qu’une fois dans une vie, il faut avoir le temps d’en profiter.
    Bras dessus, bras dessous, elles cherchèrent un banc sous les arbres, afin de se protéger de l’ardeur des rayons du soleil.
    — A ce sujet. . J’aimerais obtenir ton avis sur un développement survenu pendant mon absence.
    Elle marqua une pause, puis plongea :
    — Paul m’a demandée en mariage.
    Elisabeth se tourna à demi afin de regarder son amie, un sourire amusé sur les lèvres.
    — Cela ne te semble pas ridicule, à mon âge ? demanda Marie.
    — Pourquoi ridicule ?
    — Je dépasse les quarante ans. Je suis vieille.
    — J’ai un an de plus, et je suis jeune !
    Le vêtement de deuil n’arrivait pas { la rendre moins attirante. Sa taille demeurait souple, la peau rose et lisse. Sa compagne répondit d’un sourire { la saillie.
    — Tu l’aimes ? demanda la grande blonde.
    — Comme une femme de mon âge, je suppose.
    — Cela devient une obsession. D’après toi, comment des vieilles dames comme nous aiment-elles ?

    Marie demeura songeuse un instant.
    — Pour tout dire, concéda-t-elle bientôt, je ne connais rien à ce sujet. Jeune, je suis passée à côté de ce sentiment.
    Tu sais ce qui est arrivé avec Thomas. .
    L’autre acquiesça d’un signe de tête. Cette catastrophe, survenue quelque vingt ans plus tôt, ne ressemblait en rien
    { une romance, et l’intervention providentielle d’Alfred non plus. L’épisode bref et torride avec James prenait l’allure d’une passade dans ses souvenirs, rien d’un hyménée.
    — Je ne perds pas l’appétit, je ne le vois pas dans ma soupe, mais l’idée de partager son lit tous les jours du reste de mon existence me fait un effet délicieux.
    — Donc, tu l’aimes.
    — Il y a aussi la sécurité. A la mort d’Alfred, la perspective de me retrouver sans lui, avec deux jeunes enfants, me terrorisait un peu. Maintenant que mes oiseaux s’envolent, je n’arrive pas { me résoudre { demeurer seule. Le projet de partager sa vie, de me trouver avec une nouvelle famille, en fait, me rassure.
    S’appuyer sur quelqu’un, trouver la chaleur d’un corps, au plus noir de la nuit, lui avait terriblement manqué.
    — Tu as toutes les raisons d’accepter, aucune de refuser.
    — En même temps, si cela éloignait de moi Mathieu et Thalie. .
    Elle s’arrêta encore, gênée d’aborder ce sujet. Elisabeth laissa tomber :
    — Ou peut-être penses-tu, si tu demeures seule, les retenir plus facilement auprès de toi.
    Sa compagne resta pensive un moment. Elle répondit enfin avec un rire nerveux :
    — Je ne devrais pas avoir une amie si

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