Les hommes dans la prison
expiraient ainsi qu’une
flamme courbée par le vent, qui va s’éteindre. On devinait la lutte des gaffs et du désespéré, assommé d’abord, entraîné ensuite vers le cachot.
Autre événement, le passage du chat. Ce chat de prison était
une bête exécrable, exécrablement intelligente. Il se faufilait avec une
insolence experte dans les préaux. Jamais il ne prêtait attention à un homme ;
il dévorait sans se presser les restes d’aliments qu’on lui apportait. Et s’en
allait, inexpressif, indifférent, sans un ronron amical pour l’homme penché sur
lui avec l’insondable surprise de palper une petite vie tiède, élémentaire, libre
et vaguement féminine. Quand on n’avait rien à lui offrir, le chat passait sans
un regard. Les pierres de la prison semblaient avoir déteint sur son pelage d’un
blanc sale.
À la veille et au début du printemps il y avait parfois –
chance exceptionnelle – la merveilleuse chaleur du premier soleil printanier. Si
l’on fait tomber un rai de lumière sur une goutte d’eau soumise au microscope, on
voit les infimes organismes qu’elle renferme se rassembler dans la lumière. Une
cour de prison tachée çà et là de soleil m’a souvent rappelé cette expérience ;
et les hommes grelottants dans leur rayons de soleil, blêmes et joyeux, m’ont
fait penser à des vibrions…
Le profil des murs ne permettait presque jamais que le préau
fût tout entier baigné de soleil ; mais un coin de la cage cimentée était
doré. Là se tenait l’homme : vieillard au collet relevé, souriant, les
yeux glauques, à la chaleur revenue ; jeune condamné heureux de dégourdir
ses membres en quelques mouvements de gymnaste ; malade frileux, contenant
ses frissons, aspirant par tous ses pores la bienfaisante lumière. J’éprouvais
dans tout l’organisme la sensation d’un brusque « coup de fouet ». L’imagination
battait la prétentaine. Afflux de velléités, de volontés, de souvenirs, de
rêves, de projets de travail ; réveil des rythmes intérieurs…
Vibrions que nous sommes !
Puis, au-dessus du mur de ronde, à l’endroit où les
branches raturaient confusément la blancheur du ciel, apparaissaient les taches
vertes du feuillage.
Un jour, un de mes bien rares visiteurs chercha des yeux ce
feuillage lointain et s’exclama :
– Pourtant les marronniers sont en fleurs !
Nous fixâmes ensemble à travers la vitre laiteuse ces taches
vert-clair, et nous finîmes par leur discerner des bordures blanches comme d’immobiles
flocons de neige. Il y avait là des fleurs. Tant qu’elles furent là, quoique à
demi invisibles, je les saluai plusieurs fois par jour. Je reconnus plus tard, au
vert intense, noirci, du feuillage, qu’elles n’étaient plus ; mais de
toutes les fleurs que j’ai vues de ma vie, celles-là – que je n’ai point vues –
m’ont laissé le plus prenant souvenir.
… Nos yeux ont besoin de couleurs. De n’avoir pendant des
saisons entières aperçu d’autres couleurs que cette tache verte d’un
inaccessible feuillage, je finis par éprouver un obsédant désir de couleurs. Les lettres que je recevais étaient parfois contenues dans des enveloppes
doublées de papier de soie rouge, violet, bleu, vert. Ces lambeaux de couleurs
servirent de signets pour mes livres. Ce me fut une joie des yeux que de
découvrir entre deux pages un rectangle rouge. Pareil à un enfant, j’éparpillais
parfois sur ma table ces couleurs. Ou je fermais les yeux pour me souvenir d’une
étoffe éclatante…
9. Rencontres.
Aussi complet qu’on veuille l’isolement, des communications
finissent par s’établir entre encellulés. On fait des rencontres, on entrevoit
en se rendant à la promenade des voisins. Dans le préau une « babillarde »
roulée en boule et alourdie de mie de pain vous est jetée. Des sympathies
naissent, des correspondances se nouent…
J’eus pendant de longs mois pour voisin un blême condamné, large
et trapu, qui avait une grosse tête de Pierrot désolé. Je ne désirais point de
relations. Il força mon indifférence en m’appelant, pendant une promenade.
– … coûte ! y a bon !
Nous étions dans deux préaux différents, des deux côtés d’un
mur mitoyen. Chaque fois que le surveillant, en marche dans la galerie
circulaire au-dessus de nos têtes, passait à l’autre bout de la vaste cour, nous
avions bien trente secondes pour causer. « Y a bon ! »
J’entendais mon voisin rire tout
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