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Les hommes dans la prison

Les hommes dans la prison

Titel: Les hommes dans la prison Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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le souvenir absurde de l’éblouissement :
que c’était beau tout de même, ce ciel étoilé ! Ah ! voici la
muraille, suivons-la. Elle est propre, sans inscriptions. Quatre murs parbleu, les
quatre murs bien connus… Ce sont presque des amis, ces quatre murs assassins. Et
rien. J’espérais un bas-flanc.
    Installons-nous. Mon gilet roulé en boule, mon chapeau
défoncé (qu’ai-je désormais besoin de cette défroque de civilisé ?) disposés
avec art sur les chaussures offrent à ma nuque un support. Allongé de tout mon
long sur le parquet ciré, je songe.
    Je ne sais rien de ce qui sera. Les avocats que j’ai
interrogés sur la peine, m’ont-ils assez exaspéré avec leurs réponses vagues. Parbleu !
ils s’en moquent. Le client arrivé ici n’est plus un client.
    J’ai vu naître le jour : une grisaille est entrée
imperceptiblement dans la cellule, chassant les ténèbres ; puis une pâleur.
C’est doucement devenu de la lumière. Aucune notion de l’heure. Rhabillé, j’ai
longtemps attendu, marchant comme de vieille coutume, le long des murs. Seize
pas. Dix-sept en tournant sans hâte. Pourquoi se hâter ?
    La journée a bien commencé. Nous nous sommes retrouvés, les
trois passagers du wagon ivre, dans un magnifique préau triangulaire…
    – Épatant, dit Horel.
    Et le petit paysan homicide avait un large, large sourire.
    Il y avait bien, dans ces dix mètres carrés, six mètres de
gazon ; et même un arbuste, chétif comme un buisson, dont les bourgeons
commençaient à s’entrouvrir. On était « libre » là, près de la terre
et des plantes, ensemble, à causer, trois copains, n’est-ce pas ?
    – C’est pas encore le régime, dit le petit paysan. C’est
pas possible.
    Nous entendîmes des coups de cloche, des défilés : martellement
rythmé du pavé par de longues files de sabots. Les rythmes de la Centrale. Nous
comprîmes que nous n’étions pas encore entrés dans la peine. Nos vêtements « civils »
d’ailleurs nous le rappelaient assez.
    … Nous les perdîmes une heure plus tard, dans la petite « salle
de pansements » de l’infirmerie, où deux auxiliaires, condamnés en blouses
blanches, un gardien et le brigadier Zizi, procédèrent à notre habillage
définitif. Jetées une à une sur le carrelage, fouillées, secouées, nos hardes
prenaient à l’instant figure de loques. Zizi, vieux rengagé à médaille
coloniale, décati, avec un grand nez busqué tombant sur une moustache blanche, pisseuse
au bord des lèvres à cause du tabac, Zizi galonné d’argent jusqu’à l’épaule
dictait à un détenu-comptable son estimation de la valeur de nos effets. Il
claironnait comme il eût fait dans une cour de caserne :
    – 1 chapeau feutre noir… 25 centimes… Bretelles… 10
centimes… 1 complet cheviotte grise… cent sous !… 1 chemise rayée… 50
centimes…
    Zizi rigole.
    Son estimation est portée sur un registre que nous signons. L’administration
prend nos effets en garde ; ils nous seront rendus – ce qui en restera, les
mites ayant dévoré toutes les étoffes – à la libération. En cas de destruction
accidentelle, l’Administration, honnête, s’engage à nous indemniser selon l’estimation
ci-dessus, contresignée de nous-mêmes. Nous commençons par être volés.
    Puis nous attendons, nus devant nos petits tas de hardes, les
vêtements réglementaires, chemises et caleçon de grosse toile grise (peut-être
blanche à l’origine), vareuse, pantalon et béret de droguet brun. Ceux que nous
recevons sont tellement usés qu’on voit la trame bleuâtre du tissu : mais
propres. Des sabots.
    – Tu t’coudras ça au bras droit.
    Ça : un rectangle de toile blanche portant quatre
chiffres : 6731. Le 6731 c’est moi. Les sabots alourdissent sa marche. À
chaque pas ils font flic flac, et j’ai la sensation qu’ils vont tomber.
    On m’a tondu le crâne. Ma chevelure vient d’être balayée
avec les derniers cheveux blancs de Horel. Me voici suffisamment oblitéré pour
comparaître devant les autorités administratives. Rien ne me distingue plus des
autres, mes pareils, tourbe de réclusionnaires que nous sommes. Nous avons tous
les mêmes mentons mal rasés, les mêmes crânes tondus – et les mêmes regards, sans
doute, d’hommes traqués.
    Nous comparaissons devant une sorte de tribunal
administratif : le directeur, képi tout argent, le contrôleur, képi à
demi-brodé d’argent, le gardien chef, képi

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