Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les hommes dans la prison

Les hommes dans la prison

Titel: Les hommes dans la prison Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
Vom Netzwerk:
l’extraordinaire
transparence des paupières closes, le blond soyeux des cheveux adorables, il
voit tout, sans cesse, et, même s’il se répète qu’il est fou, il croit
désespérément à ce qu’il voit – s’accroupit au fond du cachot pour que son
visage ravagé ne soit point visible et ne perde cependant rien du jet de
lumière qui va entrer. Car cette lumière et l’encolure de Latruffe attestent la
réalité de l’univers où peut-être – ou, certainement ! – Jeanne n’est pas
morte, n’est pas morte. Mais tandis que le jet de lumière fouille les cachots
voisins, la face de la morte remonte dans ce cerveau usé, comme les noyés, parfois,
remontent du fond des lacs…
    Latruffe longe sans bruit les portes des cachots. Une lampe
suspendue au bout de la galerie, semble le guider à travers le silence, l’exiguïté
des parois de ciment et une sorte de brume où le jaune lutte avec le gris. Tel est
son royaume. On croirait un insecte de proie inspectant les larves captives
dont il se nourrit. Il va, la nuque tendue, les muscles souples, l’ouïe aux
aguets : et c’est une lutte entre lui et les larves. Celles-ci ont l’ouïe
plus fine encore : rarement il les surprend. Mais, chasseur patient, il ne
se lasse pas d’épier.
    N° 6. Latruffe ouvre brusquement le guichet. La
lanterne éblouit un gamin sans âge, d’une extrême maigreur, étendu sur sa natte
les bras en croix. Latruffe souffle :
    – Levez-vous.
    Le gamin se lève lentement. Le guichet se referme. Latruffe
feint de s’en aller. En réalité, il guette à la porte. Il sait que le gamin s’est
recouché. Le guichet claque de nouveau. L’éblouissante lumière fouette de
nouveau la forme allongée à même le ciment. Cette fois Latruffe ouvre la porte
et marche sur le gamin qui, levé, l’attend immobile, collé à la paroi du fond.
    – Qué que j’vous avais dit ? demande tout bas
Latruffe.
    Il savoure une seconde la terreur de ces yeux effarés que sa
lanterne tourmente.
    – Hein ?
    Latruffe se dandine doucement sur ses jambes. Il lève sa
lanterne à la hauteur du visage du gamin. Il passe lentement le trousseau de
clefs de sa main droite à sa main gauche : le gamin aux lèvres tremblantes
voit les clefs osciller sous la flamme. Latruffe lève la main droite et sans
hâte, sans bruit, sourdement, applique sur cette face impuissante collée contre
le mur un soufflet court. Le gamin claque des dents : ti-ti-ti. Des larmes
débordent de ses yeux. Latruffe lève encore la main, hésite un instant, et dit :
    – Suffit, hein ? pour aujourd’hui ? Vous
tâcherez d’obéir demain.
    Latruffe guette le N° 8. C’est un Espagnol trapu, au
visage hirsute (voici trois semaines qu’on ne l’a pas rasé), à la poitrine
velue. Il tourne, il tourne dans ses ténèbres, ou il s’accroupit, ou il se
couche ; mais les mêmes images sont toujours en lui. Ou c’est une femme, sa
Tonine à la peau bronzée, aux hanches étroites, sa Tonine, sa Niña, sa niña, «  niña querida… » Elle a le lobe de l’oreille d’un rose de
pétale ; et c’est un pétale qu’il mordille sans fin. Et voici, que, sa
Niña, il la sent depuis des jours et des nuits, possédée, pénétrée par un autre,
avec une telle précision de sensation qu’il perçoit la chaleur de leurs ventres
et la tension de leurs reins, qu’il sent la chair de la femme s’ouvrir à la
poussée du mâle, qu’il voit leurs lèvres se sceller, lui sur elle : ventouse.
« À-à-à… » Le cri réprimé dans sa gorge n’est plus qu’une sorte de
râle. Latruffe ouvre brutalement le guichet, la lumière soufflète une face
hagarde de naufragé :
    – Silence ! gronde Latruffe. Qué qu’vous avez à « chanter »
comme ça ?
    Ou ce cachot devient, pour cet halluciné, un sérail
fantastique. La brune aux seins durs et pointus s’appelle Lolita ; elle s’offre
impudiquement, debout, cambrée comme une danseuse sévillane. La blonde s’appelle
tantôt Marise, tantôt Lise – comme une qui fut autrefois – et se dévêt, soumise,
avec des gestes inachevés : le linge blanc tombe à ses pieds sur une peau
d’ours blanc et elle recule attirée et craintive devant les bras tendus vers
elle. D’autres par couples, par groupes, se suivent, se rencontrent, s’étreignent
et l’homme a dans ces ténèbres des frénésies de singe lubrique. Latruffe le
surprend enfin, haletant, le sexe nu, les mains mouillées. Latruffe entre
doucement avec

Weitere Kostenlose Bücher