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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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tante Marie, et un grand-père acariâtre qui rudoyait tout le monde. Mais sur l’aire du Mas Cordelier, je ne rencontrais ni grands-parents, ni oncles, ni tantes. Sarah et Serge paraissaient être sans autre famille que celle constituée par leurs amis. Pouvait-on d’ailleurs appeler amis ces hommes qui bavardaient avec Serge à l’écart, lui montraient des dossiers, se taisaient quand je m’approchais ?
    Je n’aimais que les amis de Sarah, Allen, Mietek, Élisabeth. Eux me voyaient, eux m’écoutaient. J’aurais souhaité les appeler oncle Allen, cousin Mietek, tante Élisabeth. Je souffrais qu’il n’y ait entre nous que l’amitié.
    J’ai pris conscience de cela très tôt, dès les premiers jours de classe. Mes camarades étaient attendus à la sortie de l’école, sur cette route d’où l’on aperçoit les reliefs violents de l’Estérel et les hauts plateaux du Var, par des grand-mères, des tantes, des sœurs. Ils ignoraient l’étendue de la nébuleuse dont ils faisaient partie, mais d’instinct ils la revendiquaient comme une caractéristique de leur être. Je prenais la main de maman, et nous partions toutes deux vers le mas. Je me retournais souvent. Je voyais ces vieilles femmes en noir, un tablier gris couvrant leurs longues jupes, ou bien ces femmes opulentes, qui parlaient fort et formaient entre elles comme une autre famille, celle du village qui n’était pas non plus la nôtre.
    Pour Serge Cordelier, la situation était différente et peut-être est-ce pour cela que je me suis méfiée de lui. Il employait des mots provençaux, il savait dire « Mestre Merle », à Merle, le boulanger. Mais nous, ma mère et moi, nous étions des étrangères.
    J’écris « ma mère » si simplement, deux mots, six lettres qui naissent sous ma plume alors que j’ai toujours pressenti que Sarah ne pouvait être ma mère. Sans doute y a-t-il une large part de reconstruction dans ce sentiment que j’éprouve aujourd’hui. La mémoire est habile à dissimuler ce qu’elle ne veut plus connaître. Je crois me souvenir, comme on distingue un relief par temps de brouillard, que je cherchais toute enfant, alors que je jouais devant le mas, à comprendre pourquoi chaque fois que je criais « maman », il me semblait que Sarah exprimait une inquiétude que je ressentais et qui brisait mon élan. Je me souviens aussi de silences qui s’établissaient entre elle et Serge, ou bien de conversations avec Allen interrompues, quand je survenais à l’improviste. Tous me regardaient et cette attention me gênait comme s’il s’était agi moins d’affection que de curiosité ou d’inquiétude. Quel secret pouvais-je percer ?
    Il y eut, pour me mettre sur la voie, le fait que je ne portais pas le nom de Cordelier mais celui de Berelovitz. Je n’avais donc pas de père mais un ami, Serge, moins affectueux qu’Allen ou que Mietek. D’ailleurs ses fonctions politiques retenaient Serge à Paris et quand il séjournait au mas, les visites des électeurs ou des maires de la région l’empêchaient de me parler.
    Je me tenais souvent devant la fenêtre de la bibliothèque qui donne sur la terrasse. Assise par terre, dissimulée par le mur, je pouvais l’écouter sans qu’il m’aperçût. Je ne comprenais rien aux affaires qu’il débattait. Il y était toujours question de routes, d’impôts, de téléphone, de canalisations d’eau. Mais le ton de Serge, ses silences entre les mots, ses rires, retenaient mon attention.
    Quand il nous avait à nouveau laissées le lundi matin je l’imitais : « Mon cher ami… » et ma mère riait. Je comprenais alors que je l’avais démasqué. Serge jouait et mentait comme je le faisais parfois quand l’institutrice venant vers moi me demandait : « As-tu écouté ce que j’ai dit, Nathalia ? »
    Si Serge n’était qu’un ami de plus – et l’un de ceux qui m’étaient le moins cher – pourquoi Sarah n’aurait-elle pas été que cela aussi ?
    Je l’appelais maman, je me serrais contre elle, je l’embrassais à l’étouffer. Elle faisait mine de me repousser mais je devinais sa joie. Elle disait : « ma petite fille, ma petite Nathalia », elle m’emprisonnait dans ses bras et je me persuadais qu’elle avait les mêmes craintes que moi, qu’elle voulait, comme moi, s’assurer que j’étais bien son enfant.
    J’essayais de trouver d’autres chemins que j’imaginais plus sûrs. Je voulais lui ressembler : je comparais nos

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