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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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youpins. »
    Lazievitch avait essayé de faire face. Les cannes plombées s’étaient abattues.
    — Rien, racontait-il, ce n’est rien, nous avons vu pire dans notre bonne Pologne, tu te souviens Sarah ?
    Elle avait froid, comme si une maladie tout à coup l’avait saisie.
    — Il faut se battre, avait-elle dit. Je ne me laisserai pas égorger, non.
    Elle enfonçait ses ongles dans ses paumes. Elle s’était levée, avait embrassé sa mère, avait plaqué deux accords graves au piano.
    — Bien sûr, avait ajouté Lazievitch, le doyen de la Faculté s’est excusé, mais il m’a conseillé de renoncer à mon cours public : « Vous comprenez, mon cher confrère, comment assurer l’ordre dans votre amphi ? – Lazievitch imitait en souriant le ton mielleux du doyen. – Il faut comprendre nos étudiants dans cette période de crise, les étrangers sont si nombreux…»
    Sarah avait envie de cracher dans un mouvement de dégoût et de rage. Elle avait embrassé Lazievitch, qui la rassurait.
    — La France n’est pas la Pologne, tu es française.
    — Toi aussi, avait répondu Sarah. Tu sais ce que font les gens du parti nazi en Allemagne ? Wiesel, à Varsovie, me l’a expliqué. Le jour où ils prendront le pouvoir en Allemagne, puis en France…
    — Mais non, mais non, disait Lazievitch, nous sommes un peuple millénaire, nous sommes le peuple, alors qu’ils viennent, ils passeront et nous serons encore là, c’est ainsi depuis l’Égypte, Babylone.
    Sarah s’insurgeait, sortait. Elle avait été chez Mietek, dans son atelier, rue Boissonade. Il faisait froid sous la haute verrière poussiéreuse. Sarah s’était assise près du poêle cependant que Mietek, d’un signe à la jeune femme allongée sur le divan au fond de l’atelier, lui demandait de préparer le thé. Il clignait de l’œil à Sarah.
    — Héloïse va nous faire du thé, hein Hélo, du thé pour le vieux Mietek.
    — Qu’il est con, disait Héloïse en riant, vous le connaissez depuis longtemps ? Mais il est con…
    En passant près de Mietek elle tentait de lui donner un coup de coude dans l’estomac. Mietek esquivait, lui envoyait une claque sur les fesses cependant qu’elle s’échappait. Cette bonne humeur détendait Sarah.
    — Hélo, tu connais Sarah Berelovitz ? disait Mietek, la pianiste, la seule dans le monde.
    — Comme toi tu es le seul peintre, répondait Héloïse.
    Elle avait une trentaine d’années, un peu lourde déjà comme souvent les peintres aiment leurs modèles, des cheveux blonds, longs, tombant sur ses épaules. Ils s’installèrent tous les trois autour du poêle, Héloïse la main posée sur le genou de Mietek, et cette main-là, la tendresse d’Hélo, rassurait Sarah. Il lui semblait que l’avenir était ouvert.
    — En entrant ici, j’étais désespérée, mais de vous voir, je vais mieux…
    Elle racontait, Mietek gueulait, lançait un balai à travers l’atelier.
    — Et si je devenais communiste, dit tout à coup Sarah.
    La première fois qu’elle formulait cette idée, mais de l’avoir osé lui faisait prendre conscience du long cheminement déjà qu’il avait fallu pour qu’elle surgisse ainsi faisant à nouveau hurler Mietek.
    — Folle, disait-il, mais Staline, c’est Mussolini déguisé en rouge, un Napoléon russe, folle Sarah.
    Il versait de la vodka dans son thé, buvait d’un seul coup, prenait Héloïse contre lui.
    — Tu vois, Hélo, nous autres juifs, quand un bourreau nous menace, nous en choisissons un autre, nous lui faisons confiance encore. Folle Sarah, vraiment.
    Sarah avait renoncé à leur expliquer, à Lazievitch, à Mietek et même à Serge.
    Quand elle avait terminé de lui raconter ce qui était survenu au docteur Lazievitch, Serge avait eu un mouvement d’irritation.
    — La lie de la population existe partout, disait Serge. Il suffit d’une crise pour qu’elle apparaisse, mais n’en tirez aucune conclusion générale, Sarah, même au Moyen Âge…
    Le sentiment qu’il ne comprenait pas. Il était pareil à ceux qui sont incapables de déchiffrer une partition ; parfois ils parviennent à lire le jeu d’un instrument, mais ils ne réussissent jamais à saisir l’ensemble de l’orchestre.
    Pour cela, elle aimait écouter Wiesel. Elle suggérait à son imprésario de lui organiser deux concerts par an à Varsovie. La ville de son père, des souvenirs de ciel d’automne, bas, ou des bleus lumineux de juin ; des craintes

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