Les hommes perdus
loyalement élaborée. Les Montagnards subsistant dans la Convention l’ont adoptée. Les uns et les autres ont montré qu’ils sont capables de s’entendre. Cette entente doit survivre pour assurer le salut de leur œuvre commune. Désormais il n’y a plus, affirmons-le avec force, il n’y a plus en France que deux sortes d’hommes : les royalistes, les républicains. Parmi ceux-ci, les étiquettes perdent tout sens. Jacobins, Feuillants, Fayettistes, Girondins, Terroristes, Thermidoriens, ce sont les révolutionnaires dont la pensée et les actes, depuis le 5 mai 1789, ont finalement abouti à la Constitution présente, après l’échec de la monarchie constitutionnelle puis de la république démocratique. La Constitution de l’an III est le palladium de la liberté, la garantie de notre sécurité à nous tous qui avons soit trempé dans la Révolution, soit acquis d’elle des biens. Ne pas nous unir sous son égide serait folie. »
Il fallait défendre le décret des deux-tiers, qui soulevait des protestations multiples, passionnées. « Maintes gens assoiffés du pouvoir s’associent aux royalistes pour accuser les conventionnels de vouloir se perpétuer dans le Corps législatif. Est-ce donc se perpétuer que de conserver quelque temps encore des fonctions dont nombre d’entre eux seront exclus dès l’an prochain, et les autres les années suivantes ? Ces gens si enragés contre les décrets des 5 et 13 Fructidor invoquent la Constitution. En vérité, ils se moquent bien d’elle. N’importe laquelle leur conviendrait pourvu qu’elle entraîne un renouvellement général du gouvernement. Voilà tout ce qui compte dans l’esprit de ces criards. Les royalistes le désirent pour réunir dans le Corps législatif le plus possible d’hommes à eux, pour écarter les conventionnels habitués et intéressés à combattre la contre-révolution, pour les remplacer par des nouveaux venus plus aisés à manœuvrer, à séduire. Ils espèrent faire servir la république au rétablissement de la royauté. Quant aux ambitieux, ils veulent ce renouvellement complet parce qu’un tiers du Corps législatif n’offre pas assez de places à leur avide multitude.
« Si la Constituante, écoutant Rewbel au lieu d’écouter Robespierre, s’était perpétuée des deux tiers dans la Législative, de redoutables entraînements et de tragiques erreurs, dus à l’inexpérience, à l’impatience, à la témérité, eussent été évités par la sagesse des anciens. Dès l’abord, les législateurs ont méprisé l’œuvre des constituants et commencé de la démanteler, parce quelle n’était pas la leur. La Constitution de l’an III sera mise en application et consolidée dans ses débuts par ses auteurs mêmes. Ce sont ceux du 14Juillet, du 4Août, ce sont les révolutionnaires qui ont renversé le trône au 10Août, immolé au 21janvier le chef dynastique des Bourbons, ce sont les républicains qui ont accompli pendant trois années des efforts de titans pour achever leur ouvrage. Eux seuls possèdent notre confiance, eux seuls sauront bien défendre la Révolution consacrée dans la Constitution nouvelle.
« Quels sont, au contraire, les opposants aux décrets des 5 et 13 Fructidor ? Les hommes qui se cachaient durant le péril, ceux qui se réjouissaient et applaudissaient dans toutes les occasions où les ennemis intérieurs ou extérieurs ont mis en danger la liberté et l’indépendance de la France : un Lacretelle jeune qui pleurait hier les malheureux émigrés pris à Quiberon, mais n’a pas versé la moindre larme sur les patriotes égorgés dans le Midi par les émigrés rentrés, les prêtres réfractaires et leurs séides ; un Vaublanc connu depuis la Législative comme ardent royaliste ; un Suard, journaliste contre-révolutionnaire dès les premiers jours de la Révolution ; un Pastoret, meneur du parti de la cour jusqu’au 10Août ; un général Miranda, que Dumouriez lui-même, indigné par sa conduite à Neerwinden, avait envoyé au Tribunal révolutionnaire ; un certain Lemaître, soupçonné d’être agent de Vérone et qui sera, un jour, arrêté pour cela ; et cent autres du même acabit. Ils se répandent dans les sections, ils les excitent. La Convention, disent-ils, proclame les droits du peuple, mais elle en ajourne indéfiniment l’exercice. Elle lui impose des représentants, elle ne lui permet pas de choisir, elle le force à conserver au pouvoir les
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