Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
et connaît son dangereux métier sur le bout du doigt. Je te le donne pour un de ces durs à cuire qui passent leur vie à se battre et meurent dans leur lit à quatre-vingt-quinze ans.
    — Les mères, dit Claudine, ne sont pas seules à redouter la guerre. Crois-tu, mon oncle, que je voie sans effroi s’approcher le temps où Bernard reprendra un commandement ? Cela m’empêche de dormir. Ah ! s’il n’en devait souffrir, je voudrais qu’il demeurât boiteux ! »
    Les deux femmes attendaient leurs maris pour se mettre à table. Claude ne pouvait s’attarder. « Naurissane, dit-il, serait capable de partir sans moi s’il ne m’apercevait point, et je n’ai pas, en ce moment, les moyens de me payer des fiacres. »
    La décade suivante, seul dans l’appartement de la rue Nicaise, il travaillait à son second numéro. Le premier s’était très bien vendu. Louvet, convaincu que le public allait se jeter sur les extraits des rapports, avait fixé le tirage à vingt mille, en demandant à l’imprimeur de conserver les formes. De la sorte, les vingt mille exemplaires enlevés en deux jours, six mille autres étaient partis chez les marchands de journaux. Jusqu’à présent, ce numéro valait à son auteur l’appréciable somme de 7 5oo francs, laquelle monterait probablement à 9 700. Il triait des lettres de lecteurs pour en composer la rubrique On nous écrit, lorsque la sonnette tinta. Il eut la surprise d’ouvrir à Buonaparté. Le petit général venait le remercier de son entremise.
    — Mais comment sais-tu, citoyen, que je me suis entremis pour toi ?
    — Par le général Delmay. Et il m’a indiqué ton adresse. » Claude avait, en effet, rapporté à Bernard la promesse de Tallien. « Ainsi, tu as obtenu satisfaction ?
    — Oui, d’une façon singulière. On ne paraît pas bien savoir sur quel pied l’on danse, aux Tuileries. Avant-hier, m’est arrivée la copie d’un arrêté disant : Vu le rapport de la Commission militaire, le Comité de Salut public arrête : Le général de brigade Buonaparté, ci-devant mis en réquisition près du Comité, est rayé de la liste des officiers généraux, attendu le refus de se rendre au poste qui lui a été fixé. Signé Cambacérès, Blad, Gamon, Berlier. Et hier, j’ai reçu un autre message : Vu le rapport du Comité militaire organisant une mission en Turquie, le Comité de Salut public arrête : Le général de brigade Buonaparté est placé à la tête de cette mission. Signé Berlier, La Révellière-Lépeaux, Rewbel, Letourneur. Quel désordre ! Ces gens-là ignorent si leur Comité militaire est un comité ou une commission. À vingt-quatre heures d’intervalle, ils prennent des décisions absolument contraires. On n’a guère confiance dans le gouvernement que vont former de tels brouillons.
    — Bah ! répondit Claude distraitement, ces arrêtés-là on les signe sans les lire. Quant au Comité militaire, on emploie cette contraction par commodité ; c’est au juste la Commission militaire du Comité de Salut public. Mais, dis-moi, citoyen général, depuis combien de temps te trouves-tu en France ? »
    C’était surprenant, cette survivance de l’accentuation italienne qui s’ajoutait à une élocution rapide, bousculée parfois jusqu’au bredouillement, pour rendre le jeune homme peu compréhensible. Il écrivait son nom Buonaparté et le prononçait Bouonaparté. Quand il n’y prêtait pas attention, il disait oune, quelquefois ouné, pour une, Comité de Salout poublic, Cambatchérès, Gamoné.
    « Il y aura, répondit-il, dix-sept ans au mois de décembre vieux style.
    — Tu as donc fait ici toutes tes études.
    — Oui, les grandes. Au collège d’Autun, puis à Brienne, puis à l’École des cadets au Champ de Mars.
    — Es-tu retourné en Corse ?
    — Souvent. Je m’y suis battu jusqu’en mai de 93 contre les Paolistes. »
    Ce devait être ça. Malgré son éducation française, ce garçon conservait la marque d’un terroir avec lequel il n’avait pas rompu. « Et depuis mai 93 ? demanda Claude.
    — Ma famille et moi sommes bannis à perpétuité.
    — Tu as sans doute une nombreuse famille, comme la plupart des Corses.
    — Oui, citoyen. J’ai ma mère, veuve, mon oncle Fesch, mon frère aîné Joseph, trois autres frères et trois sœurs.
    — Voilà, en effet une belle famille. Elle habite maintenant Paris ?
    — Non, ils sont tous dans le Midi, sauf mon jeune frère

Weitere Kostenlose Bücher