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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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royaliste, c’est à Tallien qu’on doit l’attribuer principalement. »
    Là, Thibaudeau frappait juste. Il eut le tort d’ajouter : « Il existe une lettre du prétendant Monsieur dans laquelle il assure qu’il compte beaucoup sur Tallien pour rétablir la royauté », car ladite lettre – le billet subtilisé par Héron et adressé par Claude au Messager du Soir – affirmait tout le contraire. La Montagne put justement à son tour crier à la calomnie. Thibaudeau retrouva son avantage en déclarant : « C’est l’ambition qui conduit Tallien, il n’écoute que son dépit de n’avoir pas été nommé des premiers au Corps législatif. »
    Assurément, pensait Claude assis au rang le plus obscur dans la tribune des journalistes, l’ambition a toujours conduit Tallien depuis le temps où, famélique, il fondait au faubourg Saint-Antoine sa Société fraternelle, pour se donner un rôle. Il reçoit en ce moment une volée de bois vert bien méritée. Mais croirait-on qu’il n’y ait pas en lui une dose de patriotisme, une sincérité révolutionnaire ? Et l’envie de parvenir n’a-t-elle pas mû plus ou moins tous les conventionnels marquants ? Moi-même, jadis. Ne meut-elle pas Thibaudeau lui aussi, comme Barras, Cambacérès, Sieyès, tant d’autres ?…
    L’Assemblée conserva la commission et attendit son rapport sur les mesures de salut public. Après la vive opposition des modérés, la gauche thermidorienne ne pouvait plus envisager d’annuler les élections. Les cinq se bornèrent à proposer un décret en trois articles : 1 o  exclusion de toutes les fonctions civiles, municipales, législatives, judiciaires et militaires, des émigrés et parents d’émigrés, jusqu’à la paix générale ; 2 o  permission de quitter la France, avec leurs biens meubles et le produit de la vente de leurs immeubles, à tous ceux qui ne voudraient pas vivre sous les lois de la république ; 3 o  destitution de tous les officiers n’ayant pas servi depuis le 10Août et réintégrés depuis le 15 Germinal. (C’est-à-dire les créatures d’Aubry.)
    Ces dispositions furent adoptées par les modérés unis à la Montagne. Sans satisfaire les espérances des patriotes, elles excitèrent la rancœur des monarchistes, pour la plupart émigrés, parents ou amis d’émigrés. Tout républicain qu’il se croyait, le clan Staël poussait des clameurs réprobatrices. Dans Paris affamé, fébrile, parcouru de courants haineux, la violence eût éclaté de nouveau ; mais il se trouvait à présent au gouvernement militaire, au lieu d’un Menou, le petit Bonaparte avec son activité, sa vigilance, son adresse. Ce garçon possédait indubitablement le génie de l’organisation et du maniement des hommes. Ayant procédé sans heurts au désarmement des sections, il avait reconstitué avec des éléments sûrs cent quatre bataillons de la garde nationale sur lesquels il pouvait compter autant que sur la ligne. En même temps, il achevait de former la légion de police où furent incorporés une grande partie des « patriotes de 89 ». Avec les trois gardes en cours de création pour le futur Directoire et les deux Conseils, cela faisait un imposant ensemble de troupes parfaitement disciplinées, dont on ne risquait plus de voir une moitié tourner ses armes contre l’autre.
    Établi dans ce qui avait été le salon du receveur général Bertin, grande pièce au plafond peint, aux rinceaux dorés, Napoléon abattait journellement une vaste besogne administrative. Cela ne l’empêchait pas de se montrer beaucoup aux Parisiens. Il voulait leur faire oublier la mitraillade du 13. Avec ses aides de camp, Junot, Marmont, Muiron, Songis, il parcourait les rues, haranguait les ouvriers dans les faubourgs, passait de minutieuses revues. Il veillait au transport des subsistances, souvent assistait en personne aux distributions. Un jour où, malgré ses soins, le pain manquait, le brillant état-major fut fort mal accueilli, hué, menacé. Une grosse ménagère apostropha les officiers. « Tous ces épauletiers se moquent de nous. Pourvu qu’ils mangent et qu’ils s’engraissent, le pauvre peuple peut mourir de faim ! » Poussant son cheval vers elle : « Eh ! la mère, lui répliqua le chétif Bonaparte, regarde-moi ! Quel est le plus maigre de nous deux pour crier famine ? » La foule rit et s’apaisa.
    La disette n’en sévissait pas moins. Malgré les efforts du bureau des subsistances,

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