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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Sentinelle.
    — J’y penserai. Je l’ai appris, à l’époque, par une lettre de Montaudon, car j’étais alors à Limoges ; mais, avant de quitter Versailles, j’avais mis Barnave en garde contre les risques de guerre civile. Je devinais avec angoisse où l’on nous menait. Cela n’a pas manqué, hélas ! Les deux factions nous ont précipités dans cette lutte fratricide, indispensable à l’une d’elles au moins.
    — Là, je vous arrête, Claude, dit Naurissane. La Révolution, j’en suis certain, portait en elle, dès son origine, le germe de la guerre étrangère et civile.
    — Non, mon frère. La Révolution n’impliquait pas la guerre. Je l’affirmais encore à Jean peu avant la fuite du roi. Mais les orléanistes désiraient la guerre étrangère comme le seul moyen restant pour perdre Louis XVI. Ils employèrent à la rendre inévitable les Brissotins éblouis par Narbonne, tandis que Marat dans son journal, et aux Jacobins Robespierre, Billaud-Varenne, toi, Jean, moi-même, luttions contre elle de toutes nos forces. De leur côté, les ultra-royalistes la cherchaient, dans un dessein identique à celui de la faction d’Orléans, et parce que la guerre civile, où ils comptaient abîmer la Révolution, devait fatalement découler de la guerre étrangère. Ce plan, nous l’avons vu se dévoiler maintes fois : aux frontières, l’invasion ; à l’intérieur, l’insurrection. De fait, sans l’invasion et la proclamation de la patrie en danger le 10Août eût été impossible, et il n’eût pas existé sans les menées des ultras poussant le roi, la reine surtout, à des provocations mortelles. Comme Desmoulins avait été au 14Juillet la marionnette de Laclos et de Sillery-Genlis, Danton fut le polichinelle orléaniste du 10Août ; mais je ne serais pas étonné si l’on découvrait, un jour, que les plus fougueux royalistes – les meneurs secrets du Cabinet autrichien, des Chevaliers du poignard, du Club français – ont eu autant de part que le bureau de correspondance des sections et le comité insurrectionnel des fédérés à la préparation de cette journée stupéfiante. Le banquet commandé aux Champs-Élysées pour les ex-matamores de la garde constitutionnelle et les grenadiers des Filles-Saint-Thomas, le jour où les Marseillais entrèrent à Paris, qu’était-ce donc, sinon une manœuvre provocatrice ? N’avons-nous pas retrouvé, le mois dernier, les mêmes frères Saint-Thomas, le même procédé ? Les manières des ultras ne changent point.
    — Sans nul doute, reconnut Dubon, les Dantonistes ont fait le 10Août pour le compte d’Orléans. Danton et Desmoulins s’en furent demander l’aide du journaliste Prudhomme afin de mettre Philippe sur le trône, lui dirent-ils.
    — Parfaitement ! Et Robespierre s’est tenu à l’écart, comme Marat. Par peur, a-t-on prétendu. Allons donc ! Ils ne voulaient ni de Philippe ni d’une république, voilà tout. Seulement ils ne pouvaient arrêter la manœuvre sans se rendre suspects aux yeux du peuple. Marat recommandait de ménager la famille royale, car il voyait bien d’où venait le coup dirigé contre elle, et ce n’était pas elle que Marat désirait frapper, mais les Brissotins, les Rolandistes, dont l’aveuglement, l’infatuation avantageaient les factieux… Les massacres de Septembre non plus n’eussent pas eu lieu sans la présence des Prussiens à Verdun, liée à la conspiration de La Rouerie. Non, Danton n’a point organisé ces boucheries qu’on lui a tant jetées à la figure. Il n’a point lancé les tueurs. Je l’ai vu plein d’anxiété, malheureux, dissimulant son impuissance sous les éclats de sa colère. Je n’oublierai jamais cette phrase : “Les bêtes fauves sont lâchées, il n’y a pas de dompteur assez fort pour les repousser dans leurs cages.” Or, j’en suis convaincu maintenant, ceux qui avaient lâché les bêtes fauves, c’étaient les royalistes.
    — Voyons, Claude ! protesta Louis. L’idée ne se soutient pas. Les royalistes auraient comploté le massacre des leurs !
    — Pourquoi non ? D’abord, simples royalistes et ultras ne sont point même famille. Au demeurant, ceux-ci seuls gagnaient à l’atroce entreprise. Raisonnons, s’il vous plaît. En quoi eût-elle servi les orléanistes ?
    — En rien, assurément.
    — Et nous, membres de la Commune, Jacobins, Cordeliers, serions soupçonnables s’il s’était agi de supprimer en France tous

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