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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Roux, meneurs des Enragés, d’être eux-mêmes menés par les grands conspirateurs monarchistes : les Antraigues, les Batz, les Puisaye. Mais nous soupçonnions stupidement Marat et Robespierre de donner dans la manie de la dénonciation. Jacques Roux, lui, ne s’abusa point : il se sentait si bien percé à jour qu’il se suicida dans sa prison. Et nous, naïfs, le plaignîmes, car nous le prenions pour un démocrate un peu fou. En réalité, tous les néo-Cordeliers, beaucoup d’Hébertistes, la plupart des ultra-révolutionnaires, bref tous les hommes et les femmes, y compris Claire Lacombe, qui réclamaient l’extension de la Terreur et le sans-culottisme absolu, tous les moteurs enfin de cette perpétuelle surenchère sous laquelle la Révolution démocratique a succombé, participaient à la conspiration royaliste. Batz affirme qu’Amar, Lavicomterie, Jagot, Vadier étaient ses complices au Comité de Sûreté générale. Quant aux trois premiers, je n’en crois rien. Vadier, ce ne serait pas impossible ; il aurait accepté n’importe quoi pour se procurer des petites filles. Momoro fut l’intermédiaire des royalistes bretons, par sa femme, maîtresse d’un frère de Puisaye.
    — Tu ne comptes pas Hébert ?
    — Non. On a dit qu’Hébert voulait épouser Madame Élisabeth et se constituer roi, ou régent avec Louis XVII. Fariboles ! L’étrange petit individu, écrivain génial dans son ordure, si dissemblable en sa personne et en son style, était essentiellement un homme de lettres. Il ambitionnait la renommée, la faveur du public le plus nombreux, voire un portefeuille ministériel, mais n’avait au fond aucune véritable pensée politique. Je tiens ses alliés, Vincent, Ronsin, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, pour des révolutionnaires exaltés, dangereux par leur violence, leur manque de mesure, de souplesse, de patience, mais sincères. S’ils ont contribué à perdre la république démocratique, du moins ne l’ont-ils pas fait sciemment. Billaud-Varenne a connu trop tard ses erreurs. Au contraire, les citras ont souvent marché la main dans la main avec les royalistes. Les amis tarés de Danton, les Chabot, les Dufourny, les Philippeaux, les Bazire, offraient un terrain idéal aux bourbeuses intrigues de Batz, lui-même spéculateur sans vergogne. Les Desfieux, les Proly, les Gusman, les Pereyra formaient la liaison. De sorte qu’à la fin, comme le déclarait Saint-Just, les deux factions se confondaient. Le pauvre Danton s’est noyé dans cette fange. Et quand on pense que Robespierre a été “suicidé” par le répugnant Léonard Bourdon !… Ah ! je vous le dis, la Révolution pue !
    — Allons, Claude, riposta Dubon, ne crache pas sur ce que tu as aimé. Le 14Juillet, le 20Juin, le 10Août, le 31mai, le 9Thermidor furent peut-être combinés, au second plan, par des gens méprisables et des conspirateurs sordides ; la Convention fut peut-être enchaînée par leurs séides, infectée par des hommes perdus. Il n’y a pas d’humanité sans ordure. Mais bien au-dessus de tout cela s’est élevé quelque chose d’immense, de pur, d’impérissable : l’élan d’une nation vers la liberté, la justice. Sans doute, notre but n’est-il pas atteint ; cependant le principe a vaincu, et le germe se développera. Tu l’as dit : en 1893 notre rêve sera une réalité. Pour ma part, je crois plus à la force des choses qu’aux petites machinations des hommes. Or la force des choses se trouve lancée à présent dans une direction dont elle ne saurait dévier. Une volonté bourgeoise, multiple, omniprésente, a dominé la Révolution ; c’est certain et c’était fatal, car nous sommes bourgeois. Toutes nos Assemblées, la Commune même, furent composées exclusivement, ou presque, de bourgeois. Robespierre, Couthon, Saint-Just l’étaient. Ils ont tenté d’échapper à notre condition, mais ils ne pouvaient, nous ne pouvions, changer notre essence. Rappelle-toi le sursaut de Saint-Just à l’idée d’envoyer les détenus aristocrates empierrer les chemins pour les convois militaires ! Pas plus que Robespierre, ni toi ni moi n’aurions coiffé le bonnet rouge. Il faudra du temps au peuple pour se confondre avec la bourgeoisie, comme il a fallu des siècles à la bourgeoisie pour se confondre avec la noblesse. Quant aux factions, tu leur attribues un génie machiavélique, une précision de mouvement, une capacité de coordination entièrement

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