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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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« défenseurs officieux » subsistaient, mais encore que cette institution révolutionnaire avait pris un inimaginable développement. Des jurisconsultes improvisés, la plupart sans titres ni connaissances, foisonnaient et s’arrachaient les pratiques. Tout à la fois procureurs, avocats, courtiers, hommes d’affaires, il n’était rien dont ils ne se chargeassent. Procès, plaidoiries, radiations d’émigrés, liquidations, réclamations, sollicitation des emplois, des grâces, des faveurs, ils brassaient tout, brûlant le pavé en cabriolet pour courir du Palais au Luxembourg, à la Bourse, chez les ministres. Certains ne craignaient pas de racoler le client. Claude se vit proposer par divers inconnus l’assistance la plus dévouée dans l’affaire qui l’amenait ici. Des personnages pressés lui offrirent successivement un marché de fournitures, une place de commis au dépôt de la Guerre – enfin organisé par Carnot, – une participation à l’armement d’un brick corsaire, une recommandation infaillible auprès du citoyen Benezech.
    Il ressortit dans la cour du Mai, effaré par cette piraterie. Décidément, le retour au barreau serait pour plus tard, il demeurerait journaliste quelque temps encore. Au reste, la profession payait bien. En trois mois, à deux numéros par décade depuis la mi-vendémiaire, il s’était fait deux cent onze mille francs papier, soit un peu plus de cent louis. Jamais il n’avait tant gagné, et cela méritait considération ; il devait songer à la petite famille, laquelle s’augmenterait bientôt d’un nouvel héritier que Lise portait depuis peu. Ce serait à présent une bonne chose d’acquérir, en Limousin ou dans la banlieue de Paris, quelques parcelles nationales : le meilleur placement pour des assignats. Ils ne tarderaient point à être démonétisés ; on parlait, au Corps législatif, de les retirer en leur substituant des mandats territoriaux. N’importe ! assignats ou mandats, c’était le moment d’en réunir le plus possible pour changer ce papier en biens qui assureraient l’avenir des enfants. Après avoir, durant six années, consacré tous ses soins à la patrie, il fallait désormais penser premièrement à Antoine et à son futur frère, ou sa future sœur.
    L’esprit ainsi occupé, il faillit, sous la tour de l’Horloge, se heurter à Fouché, apparemment absorbé lui aussi. « Eh ! lui dit Claude, où cours-tu de la sorte ? »
    Fouché se préparait à partir pour Narbonne. « Le Directoire, expliqua-t-il, m’a confié l’agence militaire des 10 e et 11 e  divisions. Et j’espère en outre coopérer à la délimitation de la frontière entre la France et l’Espagne. »
    Les agents militaires remplaçaient les représentants en mission, disparus avec le gouvernement révolutionnaire. Livrées à elles-mêmes, les autorités municipales ou départementales ne se montraient guère soucieuses de fournir aux armées hommes, argent, munitions, approvisionnements, quand elles ne favorisaient pas la désertion et le royalisme. Le Directoire avait dû continuer le système des missi dominici, mais c’étaient à présent de simples employés, responsables et révocables.
    « Te voilà donc bien reparti, constata Claude. J’en suis fort aise, mon ami. Dis-moi, entre nous, ce nouveau régime te plaît-il ?
    — Non, ma foi ! Seulement, que veux-tu, j’ai assez pâti pour nos idées. Il est grand temps de donner aux miens une aisance dont ils manquent cruellement. Ma pauvre femme, mon fils et moi, vivons dans l’indigence. Je n’entends pas les y laisser.
    — Nous aurons toujours mêmes pensées, faut-il croire. Mes dispositions sont toutes semblables aux tiennes.
    — Nous nous sommes dévoués corps et âme à la Révolution ; elle a fait de nous des faméliques. Eh bien, la Révolution est terminée.
    — Hum ! Ton ami Babeuf ne dit point cela.
    — Peu m’importe ! J’ai rompu avec lui.
    — Bah ! Tue-t-on si vite en soi le jacobin ? Nous verrons. Adieu, mon ami. Écris-moi quelquefois, nous nous retrouverons, sans doute.
    — Je le souhaite, lui assura Fouché. Tu es bon compagnon, et jene resterai pas toujours à Narbonne. »
    Évidemment, Claude demeurait imprégné de jacobinisme. Néanmoins, lorsque Robert Lindet, quelques jours plus tard, vint le voir et l’inviter à rejoindre la Société du Panthéon, il refusa tout net.
    Dans l’ancien couvent des Génovéfains situé sur la Montagne

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