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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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encore fait à cette séparation ; tout me manque avec la compagne de mon travail, de mes lectures, de mes promenades, de mon repos, de mon sommeil. Enfin, il faut vivre !… Viens, ce que je veux dire est pour tous. »
    Les deux hommes rejoignirent le cercle. « Eh bien, monsieur le duc, lança Thérèse, avez-vous pris une idée de la situation ?
    — Certainement, madame, et elle ne me semble pas si mauvaise.
    — Voilà du nouveau ! se récria Réal. Votre Altesse est singulièrement optimiste.
    — Pas plus qu’il ne convient, mon cher comte. »
    Claude s’amusait toujours, ironiquement, d’entendre ses vieux compagnons jacobins se traiter de monseigneur, de monsieur le duc, le comte, le baron, se parler à la troisième personne ; mais aujourd’hui il n’inclinait pas à rire. Il écoutait très sérieusement Fouché raconter que, rentré la veille, il s’était, en sa qualité de ministre d’État, présenté chez Talleyrand où il avait vu un certain baron de Vitrolles, agent quasi officiel du comte d’Artois. « On peut s’entendre avec ce Vitrolles, assura Fouché. Il ne se dissimule pas l’hostilité d’Alexandre I er contre les Bourbons, et il sait qu’ils ne rentreront point sans donner des gages. Il m’est revenu, d’autre part, qu’ayant étudié sur place le fonctionnement de la monarchie parlementaire anglaise, le Prétendant ne répugnerait pas à en appliquer les principes. Tels sont nos avantages. Vous avez agi fort adroitement, messieurs les sénateurs, en rappelant vous-mêmes les Bourbons. Il faut leur faire reconnaître qu’ils retrouvent le trône non point par le droit divin mais par votre volonté, par celle de la nation, et obtenir avant l’arrivée du Roi l’adhésion à la Charte. Si vous me soutenez, je me flatte d’y réussir. »
    Il y réussit, en effet. Le 13 avril, il enlevait, au Luxembourg où il réoccupait son siège, le vote d’un décret conférant « à S. A. R. Monseigneur le comte d’Artois la lieutenance générale du royaume, en attendant que Louis-Stanislas-Xavier de France, appelé au trône des Français, ait accepté la Charte constitutionnelle ». Le 14, à huit heures du soir, une délégation du Sénat, conduite par Talleyrand, se rendait au pavillon de Marsan où Monsieur était descendu, pour lui présenter ce décret. Bon gré, mal gré, le comte d’Artois dut faire une déclaration dont le projet, rédigé par Fouché, avait été récrit par Vitrolles et l’abbé de Montesquiou. « Messieurs, dit S. A. R., j’ai pris connaissance de l’acte constitutionnel qui rappelle au trône de France le roi, mon auguste frère. Je n’ai point reçu de lui le pouvoir d’accepter la Constitution, mais je ne crains pas d’être désavoué en assurant en son nom qu’il en admettra les bases. » Monsieur les énuméra. C’étaient exactement les articles de la Charte, sauf l’hérédité du titre de sénateur, le maintien des dotations sénatoriales et le nom même de Sénat conservateur, dont il ne fut pas question. Mais, hormis les sénateurs, nul ne se souciait que le Sénat demeurât ou non. Toutes les libertés se trouvaient reconnues, cela seul comptait.
    Claude félicita Fouché, et reçut en réponse un sourire sceptique. « Attendons, mon bon ami, de voir comment ces gens-là se conduiront. »

V
    Louis XVIII fit son entrée à Paris le 3 mai. Ni Claude ni Lise ne voulurent assister à ce spectacle. En revanche, Thérèse ne le manqua point. Elle alla chez les Dubon ; la famille royale devait passer deux fois sous leurs fenêtres, d’abord pour se rendre à Notre-Dame par le quai des Orfèvres, puis en traversant le Pont-Neuf pour gagner les Tuileries. Curieuse, Claire suivit sa tante.
    Elles revinrent déçues. Le roi était un très gros homme quasi informe, engoncé dans un bizarre habit bleu barbeau avec d’énormes épaulettes d’or. Il ne cessait de désigner aux gens, d’une manière assez ridicule, sa nièce, la duchesse d’Angoulême, comme pour dire : « C’est elle, c’est bien elle la malheureuse orpheline. » Une orpheline de trente-six ans, dont le deuil datait de vingt années ! Froide, dédaigneuse, guindée, elle semblait d’humeur à repousser toute sympathie. Le duc d’Angoulême et le duc de Berry avaient l’air de rustres habillés en milords. Seul, leur père, Monsieur, montrait cette distinction, cette bonne grâce qui lui valaient depuis le premier jour la faveur des

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