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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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aucune lumière, aucun bruit. Les Cordeliers, naguère si turbulents, ne bougeaient pas. Et pour cause ! Ils avaient été décimés par la réaction thermidorienne. En fermant sa porte, Jean se rappela une invective d’Hébert, lancée de la tribune, dans la vieille chapelle, contre les fondateurs mêmes du club : « Des hommes usés en Révolution ! » Eh bien, oui, usé ; il y avait de quoi l’être après six ans. Il ne souhaitait plus que d’en finir avec ses épuisantes et vaines fonctions, avec la vie publique, et de reprendre son métier de robin.
    Le lendemain, 1 er  Prairial, dès cinq heures du matin, le tocsin sonnait au faubourg Antoine. Un peu plus tard, le faubourg Marceau répondait. Des femmes avaient forcé les portes des clochers. Dans ces deux sections et dans celles de la Cité, des Gravilliers, de l’Arsenal, du Panthéon, du Finistère, de Montreuil, les hommes à leur tour forcèrent les portes des dépôts où les autorités thermidoriennes tenaient enfermés fusils, canons, munitions de la garde nationale populaire. Ils se partagèrent les armes, rétablirent leurs compagnies dissoutes. Tout cela exigea beaucoup de temps. Il était entre dix et onze heures lorsque ces sections s’ébranlèrent pour marcher vers les Tuileries, sous la direction d’un garçon de vingt-trois ans, l’artisan graveur Pierre Lime, poussé au commandement général par la section de Montreuil.
    Les femmes les avaient précédés. Parmi elles figuraient nombre d’anciennes adhérentes de la Société des femmes révolutionnaires de Claire Lacombe, ou de la Société fraternelle des deux sexes. L’expérience des « journées » ne manquait ni aux unes ni aux autres. Parvenues au Palais national, elles bousculèrent sous les arcades la garde trop faible, occupèrent les tribunes et les gradins publics dans la salle de la Convention. Quand celle-ci, réunie au bruit du tocsin sonnant au pavillon de l’Unité, voulut mettre hors la loi les chefs d’attroupements, c’est-à-dire « les vingt premiers individus qui seraient arrêtés marchant en tête », elles accueillirent ce décret par des rires sardoniques et les cris : « Du pain ! du pain ! »
    Claude arrivait. Comme au 12 Germinal, il avait été frappé par l’absence de force armée autour des Tuileries. Les membres des Comités ne pouvaient cependant ignorer l’imminence et la grandeur du péril. Il ne s’agirait plus cette fois d’un vague complot, mais du soulèvement de puissantes masses animées par le désespoir. Pourquoi attendre ? Les Thermidoriens, se rendant compte que, le mois dernier, ils n’avaient qu’imparfaitement maté le Paris patriote, entendaient-ils profiter de cette occasion pour renouveler leur manœuvre du 12 et briser définitivement le ressort révolutionnaire ? C’était à croire, car Ysabeau venant, au nom du Comité de Sûreté générale, annoncer que sept sections en armes, vingt mille hommes au moins, avec leurs canons, marchaient sur l’Assemblée par les quais et toutes les rues de l’est, se borna, une fois ce renseignement donné, à lire, aux applaudissements des femmes, le manifeste de l’insurrection, connu de tous les députés. Le girondin Vernier, successeur de Thibaudeau à la présidence, laissait faire. Après quoi, Ysabeau réclama le vote d’une proclamation aux Parisiens pour rejeter la responsabilité des troubles sur les sans-culottes. On discuta, on vota, on ajouta un appel « aux bons citoyens, amis des lois, de la liberté, de la paix, et attachés par principe au maintien des propriétés ». Les heures coulaient.
    À plusieurs reprises, Claude était sorti avec Gay-Vernon et Bordas, comme bien d’autres députés, pour voir l’état de choses sur le Carrousel. Rencontrant Xavier Audouin descendu de la tribune des journalistes, il le questionna : « Est-ce toi l’auteur ou l’inspirateur de ce manifeste ?
    — Moi ! Assurément non. Il me faudrait être fou. Alors que mon beau-père est en prison, j’irais le compromettre un peu plus en me signalant de la sorte !…»
    Au début, on apercevait sous les guichets du Louvre quelques individus mal vêtus, sans ordre et sans armes. Plus tard, des têtes de colonnes apparurent avec des tambours. Plus tard encore, le gros des bataillons sectionnaires, les canonniers et leurs pièces. À deux heures après midi seulement, la Convention fut investie. Et pendant tout ce temps-là rien n’avait été entrepris

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