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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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pour la défendre. Haussant les épaules, Claude rentra. « Je voudrais bien savoir, dit-il à Bordas, ce que préparent Fréron, Tallien et Legendre. On ne les a pas vus dans la salle. Ils sont certainement en train de mijoter un grand coup. »
    En effet, les trois commissaires délibéraient au pavillon de Marsan. À l’encontre de ce que supposait Claude, ils n’avaient nullement souhaité cette nouvelle invasion de l’Assemblée. Parfaits incapables, occupés avant tout de leurs plaisirs, ils s’étaient laissé surprendre par l’insurrection. Ils n’imaginaient pas possible un tel soulèvement, ni que le peuple osât se réarmer, recomposer ses milices. À présent, ils se hâtaient de réparer leur erreur, mais il fallait du temps pour réunir les bataillons bourgeois, beaucoup de temps pour amener les troupes cantonnées dans les environs. On s’efforçait d’en gagner. C’est pourquoi Vernier, prévenu par Ysabeau, faisait traîner les débats. Tallien l’appela pour l’endoctriner. Sous aucun prétexte il ne devait lever la séance. Puisque – et là Claude devinait juste – on avait l’occasion d’en finir une fois pour toutes avec les sans-culottes, on donnerait aux députés qui voudraient soutenir les rebelles toute latitude de s’enferrer, comme cela s’était produit le 12 Germinal.
    Seulement Tallien, Legendre, Fréron, toujours bornés, ne prévoyaient pas quelle violence allait prendre aujourd’hui la manifestation populaire. Ils croyaient à un nouveau complot montagnard, abusés en cela par le féroce et inepte ci-devant marquis de Rovère – encore un sanglant terroriste devenu thermidorien – qui avait dénoncé, le 28 Germinal, une prétendue Conspiration des Œufs rouges pour délivrer les Crêtistes emprisonnés ; alors que tout le complot, c’était la misère du peuple.
    Lorsque Claude regagna sa banquette au bas de la Montagne, André Dumont – naturellement ! – occupait le fauteuil à la place de Vernier, et l’Assemblée envoyait onze députés dans les sections de l’Ouest avec mission d’y ranimer le zèle des bons citoyens. À peine partaient-ils, le tumulte commença dans la salle de la Liberté et des Drapeaux. Les ménagères des tribunes y firent écho en criant : « Du pain ! du pain ! » Dumont leur déclara que si elles ne se taisaient pas elles allaient être expulsées. Elles le couvrirent de huées, de rires ironiques. « C’est bon », dit-il et, s’adressant à un général de brigade, Fox, qui venait de paraître à la barre avec des jeunes gens de la très bourgeoise section Bon-Conseil pour présenter une pétition : « Général, proclama-t-il, vous êtes nommé commandant provisoire de la force armée. Faites respecter la représentation nationale. » La majorité confirma par ses applaudissements cette nomination impromptue. Fox jura de mourir à son poste, et sortit. « J’avertis les perturbateurs, lança Dumont au public, que l’on va employer la force contre eux. Je somme les honnêtes gens d’évacuer les tribunes. » Les simples curieux obéirent. Les citoyennes restèrent, injuriant le président et les députés de la droite, jusqu’au moment où le général revint avec huit ou dix fusiliers de la garde et les jeunes muscadins munis de fouets qu’ils avaient empruntés aux cochers de fiacre sur le Carrousel. Ils escaladèrent les gradins. Les femmes s’enfuirent en hurlant devant les lanières claquantes.
    Mais le vacarme redoublait dans la salle de la Liberté. La grande porte aux panneaux de marqueterie vibrait sous les coups. Pierre Dorisse, le dégraisseur, s’était, avec quelques compagnons, emparé d’une des banquettes écarlates disposées le long des murs. On s’en servait comme d’un bélier. La porte se rompit. Comme au 12 Germinal, une marée vociférante inonda l’hémicycle. Les représentants durent se retirer sur les bancs supérieurs. Cette foule ne se composait encore que de femmes et d’hommes sans armes portant à leur chapeau l’inscription : « Du pain. La Constitution de 93. » Ils ne tinrent pas longtemps devant des gendarmes et les gardes nationaux de la section Grenelle qui firent irruption par le couloir des pétitionnaires. Auguis, ce commissaire de la Sûreté générale que l’on avait inexactement dit blessé le 12 Germinal, était allé les requérir. Il les conduisait, barré de son écharpe, le sabre à la main. Sur l’ordre du général Fox, la troupe se

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