Les hommes perdus
mots, lorsque, la consigne levée, il put parler à son ami, sur le seuil de la salle dégradée, salie, furent-ils : « Es-tu menacé ?
— Pas immédiatement, je pense. Mais qui saurait dire où s’arrêtera la réaction ?
— Sauve-toi quand il en est temps encore. Nous te cacherons.
— Allons donc, Bernard ! As-tu jamais fui devant l’ennemi ?
— Ce n’est pas la même chose.
— Pourquoi ? Au reste, nous verrons ça demain.
— Mais Lise va savoir ce qui s’est passé, elle sera très inquiète.
— Que ma sœur ou Claudine, demain matin, aille la rassurer. Soyez tous tranquilles. Pour le moment, je ne cours aucun risque. »
Ce n’était pas tellement sûr. La Convention se remettait à peine, après cette terrible journée, que déjà l’homme des rancunes et de la fureur, André Dumont, rentré derrière les baïonnettes, se hâtait vers la tribune, comme s’il craignait de se voir souffler par un collègue plus prompt le rôle de pourvoyeur du bourreau. Il escalada les marches encore empreintes de sang piétiné, et, avec sa grandiloquence hypocrite, menteuse, s’écria : « Il est donc vrai que cette Assemblée, berceau de la république, a manqué encore une fois d’en devenir le tombeau ! »
Le tombeau de la république démocratique, elle l’était parfaitement devenue ; il ne restait qu’à le refermer sur les cadavres des derniers Jacobins, pensa Claude. Dumont s’y employait.
« Représentants, continua-t-il, vous ne seriez pas dignes de la nation si vous ne la vengiez pas d’une manière éclatante. Cette fois, le crime, autrement grave qu’en Germinal, appelle des châtiments bien autrement sévères. »
Legendre intervint. « Avant tout, commençons par rapporter les lois votées sous la pression des rebelles.
— Il n’y a rien à rapporter, répondirent des voix passionnées. La Convention n’a pas voté, n’a pas pu voter tandis qu’on égorgeait un de ses membres. Rien de ce qui a été fait n’est à elle, tout appartient aux brigands qui l’opprimaient et aux représentants criminels qui se sont rendus leurs complices.
— Oui, renchérit le bouillant Thibaudeau, il n’y a plus aucun espoir de conciliation entre nous et la minorité factieuse. Elle a tiré le glaive, saisissons-le pour la combattre, pour rétablir à jamais dans le sein de la Convention la paix et la sécurité. Je demande que vous décrétiez sur-le-champ l’arrestation de ces députés, traîtres à tous leurs devoirs, qui ont voulu réaliser les vœux de la révolte et les ont rédigés en lois. »
Aussitôt, des noms volèrent. La nuit du 12 Germinal recommençait bel et bien. On n’osa quand même pas s’en prendre à Ruhl, mais Romme parce qu’il avait participé aux délibérations, Albitte parce qu’il avait fait compléter le bureau, Goujon, Duquesnoy parce qu’ils avaient réclamé la suspension des Comités et la formation de la Commission extraordinaire, Duroy, Bourbotte, Prieur de la Marne parce qu’ils avaient accepté d’en être membres, Soubrany parce que les rebelles l’avaient proposé au commandement de l’armée parisienne, Peyssard parce qu’il avait crié victoire pendant l’action, furent décrétés. Saisis immédiatement, groupés à la barre, entourés par les gendarmes, ils voulurent s’expliquer. On ne le leur permit pas. « À bas les assassins ! » leur criait la droite.
Ces arrestations ne lui suffisaient pas. Defermon, Bourdon de l’Oise, Lehardy obtinrent celles de Lecarpentier, de Pinet, Bory, Fayaud. Sauf le premier, ils n’avaient pas pris la parole aujourd’hui, ni même voté, mais agi en zélés Montagnards au cours de leurs missions dans les départements. Ce n’était pas encore assez d’eux. Tallien, montant à la tribune, déclara : « Il ne faut plus de demi-mesures. Si nous avions été tout à fait énergiques en Germinal, ce mouvement criminel ne se serait pas produit. Il visait à rétablir les Jacobins et la Commune. Eh bien, nous devons détruire impitoyablement ce qui en reste.
— Voilà donc dévoilée sans fard la pensée des Comités ! » dit Claude entre haut et bas.
Tallien poursuivait : « Pache est en prison. Je propose que son gendre, Xavier Audouin, aille l’y rejoindre, avec leur complice Bouchotte. » L’ancien ministre de la Guerre, successeur de Pache à ce poste, était haï des Dantonistes dont il avait dénoncé les trafics dans les fournitures
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