Les hommes perdus
accusation de tous les représentants ayant siégé dans le Comité de l’an II. Malgré l’opposition de la plus grande partie du centre, Lindet, Mounier-Dupré, Jean Bon Saint-André, oublié jusque-là parce qu’en mission sur la flotte, furent décrétés incontinent. On ne respecta que Prieur. Larivière dénonça furieusement Carnot. « Il ne s’est pas opposé au crime ; ne pas l’empêcher, c’est le commettre.
— Carnot a organisé la victoire ! » se récria une voix. Cette exclamation le sauva.
On se rabattit sur les anciens commissaires de la Sûreté générale : Ruhl, David (déjà détenu au Luxembourg), Lavicomterie, Elie Lacoste, Jagot, Voulland, Dubarran, Bernard de Saintes. Tous y passèrent. Ce n’était pas assez frapper. On s’en prit une fois encore aux représentants arrêtés le 1 er Prairial et décrétés d’accusation le 3 : Romme, Duquesnoy, Bourbotte, Goujon, Soubrany, Prieur de la Marne, Albitte, Peyssard, Lecarpentier, Pinet, Bory, Fayaud. Leur sort subit une nouvelle aggravation. Au lieu de comparaître devant leurs juges naturels, ils furent déférés à la Commission militaire. On trouva aussi que la déportation prononcée, le 12 Germinal, contre Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Barère, ne constituait pas un châtiment assez fort. On décida de les rappeler pour les faire condamner à mort. Ruamps, Duhem, Amar, Léonard Bourdon, Choudieu, Chasles, Foussedoire, Huguet seraient ramenés de Ham et envoyés au tribunal criminel d’Eure-et-Loir, avec tous les députés décrétés aujourd’hui. À ceux-ci, on ajouta encore Panis et Sergent – soupçonnés inexactement d’avoir organisé les massacres de Septembre –, puis les anciens conventionnels en mission Javogues, Dartigoyte, Mallarmé, Moneslier, J. -B. Lacoste, Esnue Lavallée, Massieu, Baudot, Allard, Lejeune, Pautrizel, Thirion, Laignelot, Maure, accusés pour leur jacobinisme.
La Convention ainsi purgée, on passa aux séides. Pache, Xavier Audouin, Bouchotte, Rossignol, déjà emprisonnés, Clémence, Héron, anciens agents du Comité de Salut public, Hassenfratz, Jourdeuil, anciens fonctionnaires au ministère de la Guerre, furent destinés eux aussi au tribunal d’Eure-et Loir.
Trente-deux députés s’adjoignirent donc aux victimes du 1 er Prairial et du 12 Germinal. En tout, la Montagne avait perdu soixante de ses membres. Il ne subsistait plus dans l’Assemblée que deux ci-devant commissaires du Salut public : Carnot, Prieur, et un de la Sûreté générale : Louis du Bas-Rhin. Seul des derniers opposants notoires, Fouché demeurait miraculeusement indemne.
Claude apprit ces détails, à Neuilly, par son beau-frère Naurissane d’abord, lorsqu’il rentra de Paris, puis par La Gazette française, le lendemain, enfin par Bernard qui vint avec Claudine. Le matin même, des agents de la Sûreté générale s’étaient présentés rue Nicaise ; Margot leur avait déclaré tout ignorer de son maître, absent depuis le 7 au soir. Cependant on savait bien, au pavillon de Marsan comme à celui de Flore, que sa femme et son fils se trouvaient à Neuilly ; on ne manquerait pas de commencer par là les recherches.
« Sans doute, dit Claude, mais enfin Lindet, Saint-André et moi avons été décrétés simplement d’accusation ; cela comporte la mise sous surveillance, rien de plus. »
Si les Comités n’eussent compté que des Legendre, des Ker-velgan, des Ysabeau, des Marie-Joseph Chénier, des Camba-cérès, des Sieyès, des Treilhard, et même des Auguis ou des Defermon, il n’eût pas hésité à demeurer là, sachant qu’ils l’y laisseraient en paix. Seulement, il y avait les Lehardy, les Rovère, les Henry-Larivière et autres furieux. Il balançait pourtant. S’éloigner de Lise ! Et où aller ? Limoges, il n’y fallait pas songer. Louis Naurissane garantissait de le mettre en un asile sûr, près de Rouen, chez des amis qui l’avaient hébergé lui-même au printemps de 92. Lise, déchirée de ne pouvoir le suivre, à cause du petit Antoine, poussait néanmoins son mari à fuir sans plus attendre. Il s’y résolut enfin. Naurissane se rendit sur-le-champ à Paris afin d’acheter de faux passeports. Deux heures plus tard, un cabriolet s’engagea dans l’allée de hêtres conduisant à la maison. Ce ne fut pas Louis qui en descendit, ce fut Louvet.
« J’espérais bien te trouver ici, dit-il. J’y ai eu quelque peine, il m’a fallu demander
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