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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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commandant. »
    Au ras de l’océan, une tache blanc-blond s’allongeait comme une étroite carte de visite posée contre le ciel. Elle avait la couleur des nuages flottant ça et là, mais ne pouvait donner le change à un œil marin. Elle trahissait, effectivement, la présence de nombreux navires encore sous l’horizon où paraissait à peine leur voilure haute. Elle signifiait aussi qu’ils naviguaient sur plusieurs colonnes ; c’est pourquoi leurs cacatois échelonnés formaient en apparence un rectangle sans solution de continuité. Ces vaisseaux devaient se trouver à guère plus de trois lieues de mer. Ils semblaient immobiles. En réalité, ils voguaient à pleines voiles ; leurs cacatois établis le prouvaient.
    « Tu auras double ration de cassonade », promit Fernand au mousse, un garçon de treize ans. Puis il replia sa lunette, descendit. Sur le gaillard, il ordonna : « Grand largue », et, pour répondre aux regards interrogateurs des officiers, ajouta : « Oui, c’est Bridport. À deux heures ou deux heures et demie dans l’ouest.
    — Ainsi, tout ce que nous avons accompli depuis sept jours l’a été pour rien », constata Eyssandier. Fernand haussa les épaules. Il s’en alla dans sa grand-chambre, dont il ne ressortit qu’une fois la Montagne proche. « Empanne. Mon canot à la mer, dit-il. Citoyen Ray, tu vas m’accompagner. Prends le livre de bord. »
    Topsent était sur la dunette de l’amiral avec Villaret-Joyeuse. Le capitaine de pavillon et son état-major se tenaient de l’autre côté de la claire-voie, selon l’usage. Fernand salua les deux hommes, et, s’adressant d’un ton officiel à son second : « Capitaine, veuillez lire à Monsieur le représentant du peuple ce que vous avez inscrit dans le livre après notre observation commune. » Ray obéit. Il donna l’heure, les coordonnées, la distance séparant la frégate de la deuxième ligne anglaise, énuméra les navires qui la composaient. Une lueur brillait dans les yeux de Villaret, mais Fernand restait impassible. Il demanda froidement au conventionnel : « Ces détails, monsieur, suffisent-ils à lever vos doutes ?
    — Jeune homme, votre question est déplacée. Je vous remercie de ces précisions ; l’amiral et moi allons voir comment en tirer parti. Vous pouvez disposer.
    — Monsieur, je ne le puis encore, car j’ai, malheureusement, à vous fournir un autre renseignement auquel on devait s’attendre. La véritable escadre ennemie, celle de lord Bridport, dont j’avais eu également l’honneur de vous parler, est en train de rejoindre le convoi, et d’ici deux heures ou guère plus sera dans nos eaux. Capitaine Ray, donnez lecture, je vous prie, de ma propre observation. » Lorsque le second se fut exécuté, Fernand ne put retenir cette conclusion amère : « Ainsi l’expédition anglaise, qu’il était si aisé d’anéantir, ne sera pas détruite ; la République connaîtra un nouveau Toulon. Je vous salue, Monsieur le représentant. Amiral, à vos ordres. »
    Celui-ci l’emmena un peu à l’écart. « Quelle est, selon toi, la vitesse de Bridport ?
    — Par ce temps, huit nœuds. »
    Villaret secoua la tête. « Nous n’en ferons pas six, avec l’ Alexandre et le Formidable. Ah ! gâcher une occasion pareille ! »
    Fernand ne dit rien, mais il pensait que l’amiral avait manqué d’énergie. À sa place, ce matin, il eût envoyé promener le baderne Topsent et engagé le combat. De quoi se fût plaint le représentant, après une victoire éclatante ? Si Villaret-Joyeuse montrait toujours la plus grande fermeté envers l’ennemi, son courage civique ne s’élevait pas à la même hauteur. Malgré tout, il demeurait un courtisan, timide devant les hommes au pouvoir. Lorsque Carnot, l’année dernière, s’était imaginé d’arrêter Jourdan et le beau-frère Bernard dans leur marche irrésistible en Belgique, avaient-ils obéi, eux !…
    Fernand regagna son bord avec mission d’éclairer sur le flanc droit l’escadre. Elle allait rentrer à Brest en décrivant un large demi-cercle. Il était trop tard pour engager les sept navires de l’escorte et les accabler avant l’approche de Bridport. Il fallait même promptement gagner au large pour l’éviter, lui. L’amiral signalait : « À tous, grand largue. Cap 260. » La République gouverna au 280, afin de rester entre Villaret et les Anglais. À six heures du soir, après être venue largue

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