Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
cet
inqualifiable édit ; nul n’ayant plus le droit de dire qu’il
voulait mourir protestant, la visite obligatoire du curé aux
malades provoqua chaque jour des drames émouvants au chevet des
mourants.
Le clergé usa de son droit avec la dernière
rigueur, et mit autant d’ardeur à vouloir imposer l’administration
des sacrements aux huguenots qui n’en voulaient pas qu’il en
apporta plus tard à la refuser aux jansénistes qui la demandaient
sans pouvoir l’obtenir. Rulhières, à ce propos, conte cette
plaisante anecdote : « Il se trouva dans le même hôtel
deux malades dont l’un, janséniste, demandait au curé les
sacrements, ne pouvait les obtenir et menaçait de s’adresser aux
magistrats ; et l’autre, Calviniste, refusait la communion et
repoussait le curé qui le menaçait des galères s’il en relevait, ou
de le faire traîner sur la claie, s’il mourait. Le maître d’hôtel,
alarmé de ces scènes fâcheuses, qui pouvaient avoir des suites plus
fâcheuses encore, imagina de changer
secrètement
les deux
malades de lit,
et tout le trouble fut apaisé
. »
Aujourd’hui (en 1886), comme au
XVIII e siècle, nous voyons l’Église mettre autant
d’ardeur à refuser les sacrements aux gens qui les réclament, qu’à
les administrer,
in articulo mortis
, à des hommes qui,
comme Littré, par exemple, ont, pendant tout le cours d’une longue
existence, fait profession de
libre-pensée.
Le docteur Robin ; collaborateur et ami
de Littré, ne put s’empêcher d’écrire à l’occasion de l’enterrement
religieux de Littré, libre-penseur comme il l’était lui-même :
« Littré a toute sa vie demandé des obsèques civiles, nous
accompagnerons son corps jusqu’à l’Église seulement. » – Le
docteur Robin, pour éviter une mésaventure semblable, avait inséré
dans son testament cette prescription formelle :
« J’exige absolument de mes héritiers que mon enterrement soit
un enterrement civil, quel que soit le lieu où je meure. »
Cependant sa famille l’a fait enterrer
religieusement
, bien qu’elle ne pût alléguer sa conversion
quasi-posthume, puisque il était mort à la suite d’une attaque
d’apoplexie, sans avoir un seul instant recouvré l’usage de la
parole, mais, elle n’avait pas, dit-elle, pris connaissance de ses
papiers. Tout au contraire, l’israélite Léon Gozlan, près duquel un
rabbin faisait la veillée des morts ; fut enterré
catholiquement parce que sa famille trouva dans ses papiers la
preuve qu’il avait été baptisé dans son enfance.
Quelques semaines avant la mort du docteur
Robin, on avait vu un Lepère libre-penseur, frappé d’un mal subit
qui, dès le début de sa courte maladie, lui avait enlevé toute
connaissance, recevoir, sans s’en douter, l’assistance d’un prêtre
et être enterré comme catholique.
Aussitôt le
Figaro
, moniteur du monde
religieux et du monde galant, s’est empressé de dire :
« M. Lepère que l’on a enterré hier avec tous les
sacrements de la religion chrétienne, est, en somme,
revenu aux
anciennes croyances de sa prime jeunesse
. »
M. Rathier, ami de M. Lepère et
comme lui député de l’Yonne, a cru devoir rétablir la vérité des
faits, en rappelant que, pendant les dernières années de sa vie,
M. Lepère avait été fidèle à ses convictions,
qui
associaient la libre pensée à sa foi républicaine
, que, s’il
avait été enterré comme catholique, c’était parce qu’un prêtre lui
avait été
imposé
, alors qu’il n’avait plus connaissance de
ce qui se passait autour de lui.
Le plus souvent les familles des
libres-penseurs, soit par conviction religieuse, soit par respect
humain, se sont ainsi les complices de l’Église venant exercer son
prosélytisme de la dernière heure près d’un moribond inconscient de
sa conversion quasi-posthume. Si au contraire, comme c’est son
devoir de le faire, la famille veille à ce que le moribond soit mis
à l’abri de ces tentatives de
pseudo-conversions
, les
cléricaux protestent contre l’atteinte ainsi portée à la liberté de
prosélytisme de l’Église.
C’est ainsi que, à l’occasion de la mort de
Victor Hugo, M. Fresneau ne craignait pas de dire à la tribune
du Sénat : « Il s’est établi un usage, contre lequel je
proteste de toute l’énergie de ma conscience et de ma raison ;
je veux parler du droit que l’incrédulité s’est arrogé, de se
donner des gardes du corps pour
Weitere Kostenlose Bücher