Les larmes du diable
les Romains connaissaient un liquide ressemblant au feu grégeois. Quelle était cette substance que les Romains avaient été incapables d’exploiter au contraire des Byzantins ? C’était étrange, compte tenu de l’efficacité de leurs forces armées.
La plupart des fenêtres étaient sombres à présent, hormis celle de la bibliothèque, où brillait une lueur jaune. J’entrai. Les imposantes étagères se dressaient tout autour de moi dans la pénombre. L’unique lumière venait du bureau derrière lequel travaillait maître Rowley, le bibliothécaire, entouré d’un cercle de chandelles. L’homme était un vieil érudit qui n’aimait rien tant que s’absorber dans l’étude d’ouvrages juridiques, et pour l’heure il était plongé dans un volume de Bracton. Jamais il ne s’était aventuré dans une salle d’audience, mais il avait cependant une connaissance encyclopédique de la jurisprudence, si bien que les sergents venaient souvent le consulter discrètement. En me voyant approcher, il se leva et me salua.
« Puis-je prendre une chandelle, maître Rowley ? Je cherche plusieurs ouvrages. »
Il sourit avec empressement. « Puis-je vous aider à en trouver certains en particulier ? Vous êtes spécialiste du droit de la propriété, messire Shardlake, n’est-ce pas ?
— Merci, Rowley, je ne pense pas avoir besoin de vous déranger ce soir. » Je pris une chandelle sur la crémaillère et l’allumai à celle qui se trouvait sur son bureau. Puis je me dirigeai vers les étagères où étaient rangés les livres concernant l’histoire et le droit romains. J’avais une liste de ceux auxquels les papiers faisaient allusion : Tite-Live, Plutarque, Lucullus. Les grands chroniqueurs.
Tous les ouvrages que je désirais manquaient. Il y avait comme une brèche dans l’alignement des livres, et la rangée était à moitié vide. Je fronçai les sourcils. Michael Gristwood était-il passé par ici avant moi ? Pourtant, on prêtait rarement les ouvrages, sauf aux doyens. Or Gristwood n’était que simple avocat. Le bureau de Rowley étant placé de façon stratégique, nul n’aurait pu sortir avec une demi-douzaine de livres sans qu’il le remarque. Je retournai à son bureau. Il leva les yeux avec un sourire interrogateur.
« Tous les ouvrages dont j’ai besoin sont sortis, Rowley. Chacun de ceux qui figurent sur cette liste. » Je la lui tendis. « Je suissurpris qu’on ait permis à quiconque d’en sortir autant. Pouvez-vous me dire qui les a empruntés ? »
Il examina la liste, les sourcils froncés. « Ces livres n’ont pas été empruntés, messire. Êtes-vous sûr qu’ils n’ont pas été déplacés par erreur ? » Il me regarda, cependant, je vis à son sourire gêné qu’il mentait.
« Il y a de grands vides sur l’étagère. Allons, Rowley, vous avez bien une liste des ouvrages sortis ? »
Mon ton sévère le mit mal à l’aise et il s’humecta les lèvres. « Je vais voir, messire », dit-il. Il fit semblant de consulter un papier puis soupira et me regarda à nouveau.
« Non, messire. Ces livres n’ont pas été empruntés. Le commis doit les avoir mal rangés. Je les ferai rechercher demain. »
J’éprouvai une bouffée de chagrin en voyant qu’il était capable de me mentir ainsi. Toutefois, je m’aperçus aussi qu’il avait peur.
« C’est une affaire sérieuse, maître Rowley. J’ai besoin de ces ouvrages et ils sont précieux. Je dois soulever la question auprès du conservateur de la bibliothèque.
— À votre aise, messire, dit-il en avalant sa salive.
— Je verrai donc messire Heath. » Mais la ou les personnes que Rowley redoutait lui faisaient beaucoup plus peur que le conservateur. Il se borna à répéter : « À votre aise. »
Je tournai les talons et sortis. Une fois dehors, je serrai les poings et laissai échapper un juron. Où que j’aille, quelqu’un m’avait précédé. En tout cas, j’avais appris une chose : ce qui se trouvait dans ces ouvrages avait un rapport avec l’histoire du feu grégeois. Il existait d’autres sources. J’irais à la bibliothèque de l’hôtel de ville.
En me dirigeant vers la grille du porche, je m’aperçus que le temps avait changé : l’air était lourd et moite. Au moment où j’allais tourner dans la rue, j’aperçus du coin de l’œil un mouvement à côté du porche. Je fis volte-face prestement et vis un jeune gaillard trapu, le visage rond, l’air balourd et le nez couvert de grosses
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