Les larmes du diable
alchimiste, ils auraient pu élaborer d’autres combinaisons. Mais ce n’est pas sûr. Quoi qu’il en soit, ils n’osaient pas divulguer le secret hors d’un cercle très limité. Ils ont donc conçu un nouveau plan et décidé de tourner à leur avantage le fait qu’ils n’avaient qu’une quantité très limitée de feu grégeois. Oh, ils ont été fort habiles ! »
Barak leva une main, fronçant les sourcils. « C’est à ce moment-là qu’ils sont entrés en relation avec le comte en disant que non seulement ils possédaient du feu grégeois, mais qu’ils en avaient fabriqué. Et le comte en a parlé au roi.
— Tout juste. Ils se sont servis pour cela d’une série de truchements : Bealknap, Marchamount, lady Honor… qui ont rendu l’histoire plus plausible.
— Ainsi, aucun de ces trois-là n’est nécessairement impliqué ?
— Aucun, ou certains, ou les trois. »
Barak émit un sifflement. « Ils organisent donc une démonstration en utilisant ce qui reste dans le baril, et poussent le comte à faire au roi une promesse qu’il ne pourra tenir.
— Cela a dû se passer ainsi. On a peut-être dit aux Gristwood qu’ils seraient payés pour leur peine et pourraient quitter l’Angleterre avant que Cromwell se rende compte que la réserve de feu grégeois était épuisée. On s’était gardé de leur révéler qu’il était prévu qu’on les tue pour faire croire que la formule avait été volée et risquait d’être remise à une puissance étrangère. Après que Cromwell eut éveillé l’intérêt du roi et lui eut promis une démonstration.
— Jeudi prochain.
— Oui. L’infortuné fondeur a été tué parce qu’il en savait trop, je suppose. De plus, l’appareil se trouvait dans sa cour, et l’ennemi de Cromwell avait besoin qu’on le fasse disparaître. »
Barak hocha la tête. « Finalement, vous avez eu raison de reprendre les choses depuis le début. Si toutefois votre hypothèse est la bonne.
— C’est la seule reconstitution des événements qui tienne compte de l’ensemble de façon cohérente. »
Il resta un moment pensif, se rongeant le poing. Je le regardai avec inquiétude, craignant qu’il ne trouve dans ma théorie une faille que je n’avais pas vue. Mais il se borna à hocher la tête. « Et la pauvre Bathsheba a été assassinée parce qu’on craignait que Michael Gristwood ne lui ait fait des confidences sur l’oreiller. Ce qui fut le cas d’ailleurs.
— Je les soupçonne d’avoir mis le feu à la maison de dame Gristwood avec le peu de substance qui leur restait pour montrer à Cromwell qu’il y en avait encore, en guise d’avertissement. Tous les témoins de cet incendie ont remarqué que la maison s’est complètement embrasée en quelques instants. S’il y avait une enquête qui fasse apparaître cela, vous imaginez la réaction du roi ? »
Barak me regarda d’un air horrifié. « Mais si vous avez raison, il n’y a plus de démonstration possible. Le comte devra en informer le roi de toute façon.
— Certes, mais il pourra lui dire que toute l’affaire était un coup monté par ses ennemis, et que le roi lui aussi a été victime de leurs manigances. Cromwell peut encore retourner la situationà son avantage. Si nous parvenons à découvrir qui est derrière tout cela. S’il peut donner son nom au roi. »
Barak passa la main sur son crâne rasé.
« Marchamount. Mais Marchamount n’est peut-être qu’une victime.
— Oui, dis-je, c’est possible. » Mon enthousiasme commença à retomber.
Barak, lui, me regarda avec espoir. « Il se peut que l’ennemi du comte, si nous parvenons à le démasquer, ait encore en sa possession du feu grégeois. Assurément, il a dû en garder un peu. Si on le donnait au roi, il pourrait mettre au travail un groupe d’alchimistes afin d’en fabriquer. »
J’avais oublié cette possibilité. Bien sûr qu’il avait dû en conserver.
« Personne ne semble se soucier du fait que cette substance est source de mort et de destruction ! Vous, Barak, vous l’avez vue à l’œuvre et vous avez failli en périr ! Comment se fait-il que vous, qui avez été si bouleversé en descendant dans le puits l’autre soir, puissiez envisager sans battre un cil la mort de milliers d’hommes par le feu ? »
Il resta sourd à mon argument. « Il s’agira de soldats. Les soldats s’attendent à se battre et à mourir pour leur pays. Si le feu grégeois doit sauver mon maître, il l’aura », dit-il en me
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