Les Lavandières de Brocéliande
sourire de contentement.
– Je n’ai pas eu à insister beaucoup. Le prêtre en question est un Breton, un vrai. Ces médailles que je porte au revers de ma tunique, c’est toute la Bretagne qui peut s’en enorgueillir. Et puis, il fait partie de l’ancienne école, celle qui n’a jamais accepté la séparation de l’Église et de l’État. Le mariage à la mairie, à ses yeux, se résume à un bout de papier dont il saura bien se passer. Seul le mariage chrétien a pour lui de la valeur.
– Et il est prêt à prendre le risque d’aller en prison ?
Edern regarda son ami droit dans les yeux.
– Moi, je prends chaque jour le risque de mourir pour mon pays.
Le soir même, les trois amis avaient enfourché leurs bicyclettes pour se rendre à Tréhorenteuc, hameau situé de l’autre côté de la forêt, au-delà de la fontaine de Barenton, près du Val-sans-Retour où Morgane enfermait les faux amants.
Ils furent reçus par un vieux prêtre en soutane, le crâne lisse comme un œuf, la taille courte mais l’embonpointgénéreux, dans une église au toit écroulé. De mauvaises herbes poussaient entre les carreaux disjoints.
– Bienvenue dans l’église la plus pauvre du canton ! lança-t-il d’un ton jovial qui jurait avec la misère des lieux. Elle prend l’eau de toute part, comme un vieux rafiot bon pour la casse, les vitraux sont cassés et laissent courir le vent, il n’y a pas de bancs pour les fidèles qui, de toute façon, ne viennent jamais y poser leurs derrières, mais Dieu y est chez lui aussi bien que dans la pompeuse abbatiale de Paimpont.
Yann ne put s’empêcher de sourire. À la pénombre des églises, il avait toujours préféré celle des sous-bois, et pensait que Dieu y était tout autant à son aise. Son sourire n’échappa pas au prêtre.
– Je te connais ! dit-il brusquement en pointant son index sur la poitrine du jeune homme. Je me fiche de ton nom, mais je connais ton cœur et cela suffit bien. Tu penses que je suis un vieux fou qui n’a plus toute sa tête, et là-dessus tu as raison, mon garçon. Mais comme toi, vois-tu, je me méfie des hommes. Toi, tu leur préfères la nature et les bois, je le devine à tes regards et à ta démarche, qui ne trompent pas. Moi, je me contente de quelques pierres menaçant de s’effondrer là où ma folie, ou ma foi, a décidé d’y sentir la présence de Dieu. Nous sommes pareils, au fond, même si j’ai quatre fois ton âge. Et je te prédis une chose. Un jour, cette église sera aussi belle que la forêt de Brocéliande que tu aimes tant. Je ne serai plus là pour le voir, mais l’un de mes successeurs s’acquittera de cette tâche. Souviens-toi bien de mes paroles, mon enfant ! Bon, à présent, il est temps de procéder au mariage…
La cérémonie fut très simple. Dans cette église en ruine, à la lueur de deux cierges qui sentaient le suif, les trois amis et le vieux prêtre ressemblaient à ces premiers chrétiens qui se cachaient pour célébrer leur culte. Ils étaient pareils à desconjurés bravant la loi et l’ordre établi par les hommes pour honorer une loi et un ordre supérieurs. Le curé y voyait une obéissance résolue à son Dieu, les fiancés un engagement total envers l’amour qu’ils se portaient, et Yann un gage d’amitié fidèle. Les anneaux furent échangés en même temps que les serments, pour le meilleur et pour le pire.
Ils quittèrent Tréhorenteuc à la nuit tombée, après une ultime bénédiction du prêtre qui, en guise d’adieu, leur dit d’un ton convaincu :
– Ne craignez rien de la vie, mes enfants… Désormais, vous êtes unis devant le Ciel et jamais plus vous ne serez séparés.
Puis, se tournant une dernière fois vers Yann :
– Et toi, n’oublie pas, mon gars ! Un jour, tu reviendras dans cette église. Tu passeras le bonjour au recteur qui m’aura remplacé. N’oublie pas, surtout, n’oublie pas !
Avant de prendre congé de son ami et désormais témoin de mariage, Edern lui glissa à l’oreille :
– Demain, j’irai déposer mon testament chez maître Le Bihan, le jeune notaire de Mauron. S’il m’arrive quoi que ce soit au Chemin des Dames, il aura la charge de faire valoir les droits de Solenn. Je suis rassuré à présent. Je peux retourner au front le cœur léger.
C’était une nuit tiède d’avril. Edern et Solenn la passèrent dans la forêt. Les grands arbres complices veillèrent sur leur amour.
Edern repartit pour le
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