Les Mystères de Jérusalem
consigne était de ne pas répondre.
Face à ces gens installés dans ce qui demeurait de nos maisons - cages d'escalier, pans de murs, cheminées calcinées
j'avais pourtant envie de chanter le Chant des partisans juifs.
Du pays des palmiers Et de celui des ne*ges blanches, iVous venons avec notre misère, Notre souffrance.
Ae dis jamais que tu vas ton dernier chemin.
I£ jour plombé Cache le bleu du ciel. Notre heure viendra. Xotre pas résonnera. Nous sommes là!
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Et nos pas résonnaient, et nous étions là.
Devenu français sans que cette nouvelle nationalité diminu‚t ma passion pour IsraÎl, j'ai vuJérusalem pour la première fois en 195 1. quand, après cinq jours de mer, le mont Carmel et la ville de HaÔfa nous sont apparus, palpitants dans une brume de chaleur,je me suis mis à pleurer d'émotion.
Puisj'ai couru le pays, et j'ai travaillé en kibboutz. Si je n'y suis pas resté, c'est que je voulais être peintre et qu'il était alors évident qu'on ne pouvait peindre qu'à Paris.
En 1967, quand des armées innombrables encerclaient IsraÎl, je me suis senti mobilisé comme en 1948, lors de la guerre d'indépendance. Il me semblait que je pouvais aider à ma façon, en recherchant ce qui me paraissait essentiel à la survie du pays : la paix. J'ai alors passé des années à plaider, à essayer de convaincre, à rapprocher Palestiniens, Israéliens et Arabes, à frapper aux portes des puissants - tantôt au Caire, tantôt en IsraÎl, t*ntôt à Beyrouth. Pendant des années, j'ai rencontré des chefs d'Etat, mais aussi des terroristes. je ne sais plus combien de fois j'ai pris au vol des avions qui ne m'ont mené nulle part, organisé des rencontres qui n'ont abouti à rien, manigancé des rendez-vous o˘ je me retrouvais seul. je ne sais plus combien d'heures j'ai passées à négocier avec des gens qui rejetaient le principe même de la négociation, combien de nuits j'ai veillé sur des textes dontje ne savais qui les lirait, ni même s'ils seraient lus. Et pour quel effet ?
Au fil de lHistoire, le Temple et le glaive n'auront pu préserver le peuple juif de l'exil, pas plus que le Livre et la mémoire, exaltés pendant des siècles, ne l'auront protégé de la barbarie.
Avec le temps, la moindre parcelle de connaissance du Livre et des commentaires, depuis ceux des antiques docteurs de la Loi jusqu'à ceux des savants exégètes actuels, m'est devenue une joie, de plus en plus vive, en même temps qu'une force intime.
N'est-il pas écrit que l'étude protège même de la mort? Le Talmud raconte comment l'Ange de la Mort n'a pu approcher Rabbi Hisda : L'Ange de la Mort alla s'asseoir sur un cèdre qui poussait devant la maison d'étude. Le cèdre craqua. Rabbi Hisda s'arrêta un instant de réciter et la Mort se saisit alors de lui.
C'étaient cette soif de savoir et ce plaisir qui brillaient dans les yeux de Calimani.
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Alprès avoir chacun parcouru les énigines de nos destins, nous partagions sans doute la paisible conviction qu'il ne restait, au bout du compte, pas meilleure activité humaine que l'étude. La seule o˘ la vie ne soit pas à
l'image de la mort!
quand, en 1575, joseph Hacohen, un médecin juif d'Avignon, acheva la rédaction de La Vallée despleurs, une chronique de la souffrance d'IsraÎl depuis la dispersion jusqu'au Xvf siècle, un autre témoin, anonyme celui-là, prit la plume pour poursuivre son oeuvre. En guise d'introduction, il écrivit quelques phrases aussi étranges que bouleversantes : Dans le premier chapitre du traité Shabbat, il est dit: Les rabbins ense*naient : qui a écrit le Livre duje˚ne ? Hamania et ses collègues, qui trouvaient du charme à la peinture des malheurs dIsraÎl.. Pour nous aussi, la relation de tant d'épreuves a de l'attrait, mais quefaire ?Nous Pentreprendrions que nous n* suffirions pas... Voilà pourquoifai résolu, poursuit notre scribe anonyme, de consigner dans ce livre tout ce qui est arrivé aux _7ufts depuis que cet autre _7oseph a terminé sa chroniquejusqu'à cejour, afin d'accomplir leprécepte: afin que tu racontes aux oreilles de ton fils et de ton petit-fils.
Pourtant, si notre t‚che est de transmettre, sommes-nous assurés que la connaissance du mal préserve de son retour?
J'aurais aimé poser cette question à Calimani et je m'en voulais de ne pas l'avoir fait.
C'était cela, la mort: ne plus pouvoir partager les questions et se retrouver seul dans le silence des réponses.
En cette soirée, les
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