Les Mystères de Jérusalem

constituait une manière d'hommage à son propre go˚t, à la valeur de son choix, une justification permanente de son amour. je ne connais pas à ma mère beaucoup d'aventures. Elle préférait le succès littéraire aux hommes.
    Et elle resta, je crois, jusqu'au bout attachée à mon père.
    *envie me prenait parfois de pousser mon père à ergoter, à demander des explications.je n'aurais pas reculé devant un petit scandale familial. je ne l'ai jamais fait. J'aimais trop ma mère et j'avais trop de tendresse pour mon père. Une seule fois mon père a voulu, semble-t-il, me prendre à
    témoin : ma mère n'était pas rentrée à l'heure pour dîner. Mais, à
    l'époque, il était déjà très malade et doutait de lui-même plutôt que d'elle.
    Elle était brune. Elle avait des yeux noirs et étirés, souvent moqueurs, parfois nostalgiques, avec des traits réguliers et un nez retroussé. Ses pommettes saillantes évoquaient le vent sur des plaines sans histoire et faisaient naître en ceux qui l'approchaient l'inquiétude douce et le désir des grands voyages. Elle était menue. En la voyant, on ne devinait pas la force qui l'habitait. On la croyait fragile, timide, certains s'imaginaient même pouvoir facilement la dominer. Ils se retrouvaient vite dominés par elle. Elle renversait les rôles en douceur, sans esclandre, avec un sourire, en donnant à croire que c'était mieux ainsi pour tout le monde.
    Fleur p‚le qui vit le jour entre les pierres grises d'une immense cour populaire de la rue Swientojorska, à Varsovie, aisément transplantable et souvent transplantée, refleurie et épanouie à Paris, ma mère, sous la beauté et la fraîcheur de ses pétales,
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    cachait une grande force de caractère.___fô'u*êj' les décisions importantes, c'est elle qui les a prises. Surtout celles qui nous ont, par trois fois, sauvé la vie : la fuite du ghetto vers la Russie et l'Ouzbékistan, le départ de la Russie pour la Pologne et la fuite de la Pologne vers la France.
    La mort de mon père la déstabilisa. Elle l'aimait, mais ce fut son regard amoureux, ce miroir magique, qui lui manqua au moment o˘ elle en avait le plus besoin
    automne.
    Elle avait beaucoup d'amis, et ses amis vinrent nombreux à l'hôpital quand elle fut très malade. Mais, dès qu'elle a senti la présence de la mort, ce contact " désagréable et apaisant ", elle m'a demandé de les faire sortir -
    le temps de se changer, de se maquiller, de mettre de l'ordre autour d'elle. Le cadre du dernier acte enfin prêt, la dernière tirade apprise, elle les fit entrer à nouveau. Femme vieillie, femme affiiiblie par la maladie, mais femme toujours et toujours consciente de ses devoirs, admirable, elle voulut ainsi prendre congé d'eux dans sa plénitude.
    Il m'arrive aujourd'hui encore, tant d'années après sa mort, d'avoir envie de l'appeler, de lui rendre visite, oubliant, l'espace d'une seconde, sa disparition définitive. " La mère n'est pas l'oiseau qui pond l'oeuf, mais l'oiseau qui l'a fait éclore ", dit le poète.
    C'est ma mère qui m'a transmis l'amour de Jérusalem ainsi que de la tradition. quand elle allumait les bougies le vendredi soir pour le shabbat, elle saluait les générations qui nous avaient précédés et qui avaient maintenu ce geste comme un appel à la vie. Elle s'inclinait aussi devant la simple beauté du rituel et la singularité de la situation.
    Ne déplace pas la borne antique ", disait le roi Salomon.
    Mais o˘ la porterait-on, ô mon Dieu, demandait ma mère, ;auf si l'on tient à prendre un tout autre chemin? " Ce n'était pas 5on cas. La poésie la passionnait par-dessus tout. Poésie faite de -hants d'amour et d'incessants appels à Dieu.
    à la veille d'un
    Ta sainteté m'aveugle ô _7érusalem!
    ¿ Vapproche de tes portes
    Comme un enfant
    ¿ Vapproche de sa mère,
    Dans l'éblouissante lumière
    De tes murailles,
    _7e redoute l‚ssemblage de tes pieires...
    Jérusalem, ma mère... Jérusalem, l'histoire de nos vies ' mon roman inachevé et trop souvent recommencé... Cette nuit-là, épuisé comme sij'avais tenté de mettre de l'ordre dans le trop vaste fouillis de mon existence, je m'endormis enfin alors que l'aube pointait dans la p‚leur d'un premier jour de printemps à Paris.
    Ce jour-là, je demandai à Clara, ma femme, d'apporter une carte de Jérusalem et de la fixer au mur de cette chambre o˘ il me restait encore quelque temps à passer avant de rejoindre la maison.
    - Tu veux reprendre ton