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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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semblait pas étrangère à cette douce joie teintée de gravité : elle s’était mise à parler aux hommes – Tinchebraye, Delaunay, Le Hanvic et Bazire –, et c’était de Poitiers qu’elle les entretenait. Elle venait de lancer le nom de Rochechouart sans en éprouver de la gêne. « Moi, si j’avais cité Tancrède… » Et voilà que sans qu’il l’eût souhaité, sans qu’elle méritât qu’il l’eût suscitée, l’image de sa cousine envahissait sa mémoire. Et il avait beau la voir en son armure, il savait bien quel corps s’y enfermait ! Il devait l’oublier. Elle avait sans doute retrouvé en Guyenne ou ailleurs, Blanche de Passac avec laquelle on pouvait bien se dire qu’elle était abouchée ! Ces deux femelles lubriques – et c’était dommage – n’apprendraient jamais qu’il avait occis leur mari et concubin en courant une seule lance devers lui aux joutes de Chauvigny.
    Il entendit le rire de Blandine. Elle avait maintenant les joues roses, les yeux pétillants, l’accent moins apprêté : moins velouté mais plus musical. Elle semblait cependant répugner à tenir les os à pleine main et chipotait sa cuisse de geline [192] . À coup sûr – et cela il le sentait avec force –, elle était maintenant et ici plus à l’aise et plus considérée qu’à Poitiers. Son absence de hautaineté devait plaire à tous les convives, même à Guillemette que Marcaillou semblait couver du regard, tout autant et même plus que Courteille. Son ventre était redevenu plat.
    « Nul ne m’a parlé de son enfant !… Il est vrai que nous venons d’arriver ! »
    — Donne-moi encore un peu à boire, Ogier, dit Blandine.
    Mêlé d’eau, le vin piquant de Normandie [193] commençait à faire effet sur son corps fatigué. Mais quelle était belle ! Dans l’étroit croisillon de ses manches lacées, on devinait ses bras, le haut de ses épaules rondes, pâles, et l’on pouvait alors, par un jeu de l’esprit, essayer de la deviner toute, des chevilles au cou, en s’attardant çà et là pour des devinettes luxurieuses, comme Lehubie était en train de le faire. Jamais il ne l’avait tant contemplée. Jamais lui, Argouges, ne s’était senti aussi envié. Et comme Jourden, Courteille, Desfeux, Aguiton, d’autres encore tels que Goasmat et Le Guevel la regardaient trop bien, avec trop d’éloquence au fond de leurs prunelles, il fut transi par une vérité sévère : s’il commençait à s’offenser de ces regards-là, c’était qu’il devenait jaloux !
     
    *
     
    Quand ils furent de retour dans leur chambre, Ogier s’accouda à la fenêtre moins pour laisser Blandine se préparer pour la nuit que pour jouir du ciel noir tout endiamanté, à tel point que les ardoises des toits, çà et là, se paraient de miroitements bleu sombre. Derrière, les arbres semblaient réduits à l’état de vapeur, une vapeur lourde où le vent se perdait, s’essoufflait et s’échevelait avant de fuir vers la mer.
    — Tu devrais refermer, dit Blandine. J’ai froid.
    Faisait-il froid ? Non. Frais. En quittant la table, elle avait dit : « Ce qu’il fait chaud ! » Elle avait embrassé Aude, Thierry, Godefroy d’Argouges ; elle avait eu un geste, un mot pour les autres. Elle souriait. On s’était dispersé, sauf Bertine, Madeleine, Isaure et quelques serviteurs et soudoyers qui voulaient les aider à desservir et à laver les plats, les bassines et les écuelles. Il entendait tinter les étains et les cuivres ; les rires et les cris, en l’absence du baron et de sa famille, prenaient plus de vigueur. Mais pourquoi riaient-ils ? Les plaisanteries et les gestes hardis, certes… Toutefois, d’autres moqueries, d’autres propos pouvaient provoquer ces grandes poussées de gaieté…
    Il vit des ombres derrière un flambeau. On allait s’assurer que tout allait bien à l’étable et aux écuries. Thierry et Aude, qui couchaient dans la pièce à côté, devaient, en s’apprêtant, échanger leurs idées sur cette soirée. Quant à Godefroy d’Argouges, allongé dans ses draps, qu’en pensait-il ?
    Il soupira. Quelque chose de plus solide qu’une sérénité dissipa ses ténèbres intérieures : Blandine à Gratot, c’était le songe devenu vrai. Seul ce fait-là devait compter ce soir. Proche de lui, son épouse remuait doucement, et par les glissements de ses atours, il devinait qu’elle ne tarderait plus à être nue. Se retourner ? Non. Profiter du

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